lundi 31 décembre 2012

Le Diable au Corps, l'estaminet des Poils

Le 20 novembre 1948, Bruxelles Universtaire livre un article émouvant. C'est une vue impressionniste de l'estaminet du Diable au Corps, qui accueillit tant de Poils de 1892 à sa démolition en 1928 : elle est composée de témoignages retrouvés dans les papiers de Maurice Wolf, mort au camp de concentration de Mauthausen.

On évoque ici l'estaminet tenu par Jules Gaspar - du sable fin qui rafraîchissait le sol au poêle de Louvain - ainsi que les Nébuleux, les Sauriens et les Clysopompiers qui s'y réunissaient dans l'arrière-salle... "Une certaine façon de comprendre et d'aimer la vie".














samedi 29 décembre 2012

Le Diable au Corps, vu de l'intérieur

Se rendre 12 rue aux Choux, suivre un long couloir, traverser une cour, monter trois marches de pierre usées et pousser une porte vermoulue... On arrivait alors à l'étroite salle rectangulaire du Diable au Corps. (Jean d'Osta, Dictionnaire historique et anecdotique des rues de Bruxelles, 1995)

Le dallage rouge et blanc était rafraîchi de sable fin. Les poutres du plafond étaient bistrées par l'huile des lampes et les chaises branlantes (Bruxelles Universitaire de mai 1930)

Carte postale, imprimée chez Havermans, vers 1900.
Au centre du cliché, la cheminée flamande et le poêle de Louvain.
Derrière les fenêtres à croisillon, à droite, on trouvait la cour.

Au bout de la pièce, on trouvait un poêle de Louvain et une cheminée campagnarde porteuse d'un tas de bibelots. Amédée Lynen (l'un des animateurs du cabaret) et Bizuth ont tous deux croqués cet espace chaleureux.


Le Diable au Corps, par Amédée Lynen. Carte postale, vers 1900.

Le poêle de Louvain et la cheminée flamande vus par Bizuth
in Bizuth, U.L.B. 20-26. Cent caricatures et quelques dessins, 1949


A l'autre bout de la salle, en face de la cheminée, se dressait le comptoir où officiait Jules Gaspar, le vénérable patron, au milieu des chopes en grès.


Jules Gaspar, patron du Diable au Corps, derrière son comptoir.
Plaque de verre, non datée.
Ce document provient
du Service Archives, Patrimoine et Collections spéciales de l'ULB.
50 avenue Franklin Roosevelt à 1050 Bruxelles.

Le comptoir du Diable au Corps, vu par Bizuth
in Bizuth, U.L.B. 20-26. Cent caricatures et quelques dessins, 1949.

Lorsque le Diable au Corps dut fermer sa porte fin 1928 pour laisser la place aux bâtiments de l'Innovation, on organisa une vente aux enchères du mobilier (en janvier 1929). De la cheminée flamande aux carreaux de Delft qui lambrissait la cheminée et la salle, du poêle de Louvain aux pots en grès, les fidèles sauvèrent de nombreux trésors de la démolition. Mais ils furent éparpillés. (Les mémoires de Jef Lambic, 1930)

Poils, Plumes, si vous voulez saluer quelque relique du glorieux estaminet, allez boire un coup à la Fleur en Papier Doré, rue des Alexiens. Vous y verrez le vieux poêle, où ronflait le feu du Diable.

Le poêle du Diable au Corps,
dans la première salle de la Fleur en Papier Doré, rue des Alexiens.
Aujourd'hui, on retrouve un peu de l'ambiance du Diable au Corps sur les banquettes de la Bécasse, du Bon Vieux Temps, de l'Imaige Nostre Dame qui vivent tranquillement au fond de ruelles du centre-ville.

vendredi 28 décembre 2012

Le Diable au Corps, vu de l'extérieur

Les Nébuleux sont fondés à l'ULB en 1886. Ils tiennent leurs premières séances à la Croix de Fer, un estaminet du centre-ville que nous n'avons pas encore localisé avec certitude.

En 1892, le cabaret du Diable-au-Corps s'ouvre au 12 rue aux Choux, dans une arrière-maison. On y accède par un long couloir, en traversant une cour aux murs couverts de vigne vierge. C'est là que les Nébuleux s'installent définitivement.

Ils y seront rejoints par d'autres Cercles étudiants mais aussi par Charles Plisnier, Roger Kervyn de Marcke ten Driessche, Michel de Ghelderode, Théo Fleischman, Paul-Henri Spaak, James Ensor. Et bien d'autres auteurs et artistes, comme Amédée Lynen, qui anime le cabaret et illustre une revue hebdomadaire sous le même nom de Diable-au-Corps, ainsi que le rappelle Jean d'Osta dans son Dictionnaire historique et anecdotique des rues de Bruxelles publié en 1995.

L'estaminet met la clef sous la porte fin 1928 : l'Innovation le rachète pour agrandir ses bâtiments. Le site "Que vive la guindaille" consacre une page conséquente à la fermeture du cabaret.

Bizuth a croqué l'entrée du couloir du Diable-au-Corps et la façade voisine. Cette aquarelle restitue toute l'atsmophère des fins de soirées bibitives. Jean d'Osta a reproduit cette carticature en noir et blanc sous forme de vignette mais nous l'avons vue, aux Archives de l'ULB, en couleurs et au format affiche. En Bordeaux et Bleu tâchera de vous la présenter dans sa version originale.

Dessin de Bizuth en 1920
in Jean d'Osta, Dictionnaire historique et anecdotique
des rues de Bruxelles, éd. Le Livre, 1995.

dimanche 16 décembre 2012

La Saint-Verhaegen de 1888

L'ULB ouvre officiellement ses portes le 20 novembre 1834. Une dixaine d'années et quelques students plus tard, en 1843, lors de la création de l'Union des Anciens étudiants, on commence à fêter l'anniversaire de l'Alma Mater. A cette époque, les Anciens se retrouvent le 20 novembre dans les bristrots du centre de Bruxelles, avant de banqueter ensemble en fin de journée.

L'expression "Saint-Verhaegen" n'apparaît qu'en 1888. Alors que la Belgique est sous tutelle catholique depuis quatre ans et alors que les tensions grandissent au sein du parti libéral entre progressistes et doctrinaires, les étudiants décident - non sans ironie - de sanctifier le fondateur de leur université, afin de réaffirmer les idéaux de celui-ci.

Le matin du 20 novembre 1888, ce sont ainsi 200 étudiants (sur 1400) portant les drapeaux des différentes sociétés qui se rendent au pied de la statue de Verhaegen, située devant les bâtiments de la rue des Sols. Puis, ils vont déposer une couronne de feuilles de chêne sur sa tombe au cimetière de Bruxelles.

Sous le titre "Les fêtes de la St Verhaegen et la Générale", L'Etudiant, organe de la jeunesse libérale universitaire du 22 novembre 1888 nous livre un compte-rendu détaillé de cette journée organisée par la Société Générale des Etudiants.

En lisant attentivement l'article, on comprend que les moments forts de la journée - tels que le cortège, les discours et les hommages, le banquet agrémenté d'une théâtrale et même le punch - existaient depuis plusieurs années. Il reste cependant à dater leur apparition avec précision.

Il est ainsi probable que le cortège du matin reliant l'estaminet de la Porte-Verte (installée sur le Treurenberg) à l'Université (rue des Sols) se soit déroulé sous la forme d'un "monôme". Ce cortège en file indienne zigzagant est en effet déjà mentionné dans L'Etudiant d'avril 1888, et ce sans autre explication - ce qui laisse penser que le principe du cortège ondulant était déjà largement connu.

Le cortège de l'après-midi refait le trajet de la Porte-Verte à l'Université - éclairée aux feux de Bengale -, puis part vers le local des vétérinaires (rue des Poissonniers) et la Croix-de-Fer, le local des Nébuleux (devenus un cercle respecté deux ans après leur fondation). Avant de se rendre chez "Perrin", où se déroule le banquet du corps professoral. Un chemin très différent de celui parcouru de nos jours.

Quant au punch flambé (qui dégage une "lueur blafarde"), il était lui aussi très probablement connu avant 1888 : le compte-rendu de la Saint-Vé signale que la "chanson des Scorpions (...) accompagne toujours cette solennité"... "Toujours" : ce qui implique que ce n'est pas la première fois que les étudiants en préparent. Le punch est d'ailleurs mentionné par L'Etudiant en avril 1888. Les gourmands auront remarqué que le punch millésimé Saint-Vé 1888 a été brassé par Georges Garnir - dont Le Semeur remplacera deux ans plus tard la Marche des étudiants du professeur Wittmeur.

Mais trève de bavardage. Laissons la place à l'article de "L'Etudiant".

Les fêtes de la St Verhaegen et la Générale

Samedi. Un temps gris, avec des menaces d’écluses qui vont s’ouvrir. Dès dix heures du matin, la salle de la Porte Verte s’emplit petit à petit. On est très calme, et vers 10 1/2h., le cortège se met en marche pour l’Université. Suivant la vénérable coutume académique, on remémore le souvenir des vieilles choses glorieuses. Le président Accarain prononce devant la statue de l’illustre professeur un discours dont nous extrayons les passages suivants :
« Messieurs,
« L’Université libre de Bruxelles célèbre aujourd’hui le 54e anniversaire de sa fondation.
« Nous profitons de cette occasion pour apporter un témoignage de notre respect à la mémoire de l’homme qui y a le plus fortement contribué, pour offrir l’hommage de notre reconnaissance à celui qui, le premier, s’efforça, en Belgique, de disputer l’enseignement supérieur à l’influence néfaste de l’épiscopat, de dégager la science des liens où la tenaient les traditions et les dogmes catholiques et de lui donner un asile où elle put grandir à l’abri des préoccupations religieuses. »
M. Accarain rappelle ensuite les vicissitudes qui marquèrent les premières années de l’Université et les efforts que Verhaegen fit pour surmonter ces difficultés : l’insuffisance des ressources, l’incrédulité, l’hostilité du pouvoir gouvernemental. Le 20 novembre 1834 l’université libre était fondée grâce aux souscriptions volontaires venues de toutes les parties du pays.
« Cependant les difficultés ne manquèrent pas aux organisateurs de l’Université. Le gouvernement, en organisant les Universités de l’Etat, ne tarda pas à amener des défections parmi les professeurs.
« Certains d’entre eux, alléchés par les séduisantes promesses d’un ministère réactionnaire, quittèrent l’Université libre pour occuper des chaires plus lucratives à Gand et à Liège.
« D’autre part, le manque de discipline de quelques autres suscitait aux fondateurs de sérieux embarras.
« Malgré toutes ces épreuves, l’Université marchait toujours en avant, conduite par les hommes qui s’y étaient voués.
« En 1842, on eut à affronter de nouvelles luttes : le gouvernement ordonna à l’Université d’avoir, dans les vingt-quatre heures, à évacuer les locaux qu’elle occupait au Musée.
« Grâce au bienveillant concours du Conseil Communal, l’Université fut installée rue des Sols, où elle est encore.
« De nouvelles souscriptions, le désintéressement de ses professeurs et l’appui du Conseil provincial mirent bientôt l’Université de Bruxelles en état de rivaliser avec celles de Gand et de Liège.
« Le but était atteint.
« L’Université composa alors son Conseil d’Administration. Les hautes fonctions d’Administrateur-Inspecteur furent conférées par ses collègues à Théodore Verhaegen. Personne en effet n’était plus digne de les occuper que l’homme dont l’énergie et la persévérance ne s’étaient jamais démenties depuis la fondation de l’Université.
« Ces fonctions, Verhaegen les occupait encore en 1862, lorsque la mort vint l’enlever inopinément à l’admiration de tous ceux qui avaient suivi ses efforts dans la lutte qu’il avait entreprise.
« Cette statue, autour de laquelle nous sommes tous aujourd’hui rassemblés est le gage de la profonde gratitude vouée par la population universitaire à cet homme de cœur, à ce grand citoyen. »
Ce discours, très écouté, fini, le cortège se remet en marche, pour aller déposer à Evere, sur la tombe de Verhaegen, la couronne achetée par souscription. Drapeaux déployés, les fidèles, que cette lointaine promenade sous un ciel maussade, n’a pas intimidés, arrivent au cimetière, vers midi. Schlesser, le vice-président prend la parole dans les termes suivants :
« La Société Générale des Etudiants a voulu rendre hommage à la mémoire de l’homme dont le nom, indissolublement lié à celui de notre Université, sera toujours un objet de respect pour ceux qui combattent dans la lutte pour la science et la vérité.
« L’Université de Bruxelles porte un grand nom aujourd’hui parmi les Universités de l’Europe. Foyer de progrès, elle verse au loin la lumière éclatante des idées généreuses, et pour la régénérescence de l’esprit politique en notre pays, comme pour l’évolution générale de la pensée humaine, son influence aura été grande et féconde.
« Si Verhaegen revenait un instant parmi nous, il pourrait se glorifier de son œuvre. Il constaterait que l’esprit qu’il lui a imprimé dès sa création et qui en fait sa grandeur, y reste vivace et fort et que l’Université de Bruxelles n’a pas failli à sa mission. Il verrait aussi que son souvenir se transmet dans les générations d’étudiants qui s’y succèdent, intact et vénéré.
« Que sa vie soit pour nous un exemple précieux, un enseignement nous inspirant à notre tour la confiance dans l’avenir de la cause qu’il a si ardemment défendue. Soyons fiers de nos convictions, car l’avenir leur appartient.
« Soyons enthousiastes, non en fanatiques intolérants, mais avec cette largeur de pensée provenant des conceptions profondes et justes, embrassant l’humanité dans une étreinte de paix et de fraternité.
« Que notre Université prospère et grandisse, c’est là le vœu passionné de tous les élèves unis aujourd’hui en un même sentiment de piété envers son illustre fondateur. Vive la mémoire de Verhaegen ! Vive l’Université de Bruxelles. »

Le Banquet démocratique

Une odeur de fristouille à réjouir des pendus s’exhale par toutes les fenêtres de la Porte-Verte. Les copains attendent dans la salle du café que le « Sésame ouvre-toi ! » du comité leur donne accès dans la salle du banquet. Le contrôle est rigoureux ; mais il fonctionne à merveille ­­- comme, du reste, au bal de la soirée. Félicitons, en passant, l’ami Dourlet qui est bien le Cerbère le plus consciencieux que nous connaissions. Un menu, splendidement illustré par Lepage, achève de mettre l’eau à la bouche au moindre des gourmets. Voici du reste, ce menu, digne de rester gravé dans les mémoires (la reconnaissance de l’estomac, quoi !)
Marennes ostendaises
Citrons de Laponie
Relevé de poivre gros grains
Potage E. Recteur
Salamis de Salamalecs à l’eau bénite de cour
Choucroute Garnir
Illusions des truites
Filet de bœuf Grand Concours
Choux de Bruxelles
N.B. - On aurait bien ajouté quelques autres légumes tels que « Carottes universitaires, etc. » mais le Comité manquait complètement de radis.
Dessert ton pantalon
et
Mets-toi à l’aise
Nous ne pouvons pas détailler par le menu ces succulences. Qu’il nous suffise de dire que les Marennes parquées étaient délicieuses de l’avis général.
Pas de toasts - cela empêche la bonne digestion ; seul le tambour de Vander Linden a pris la parole et il n’y a pas été de… baguettes mortes. Et les chansons - inédites, s.v.p. ! - les monologues, les duos, les combles, les couplets folichons, ont défilé sur la scène pour la plus grande gloire de Noblom et de Sohier.

La Sortie

A cinq heures et demie, le tambour de l’Harmonie bat le rappel et le cortège, musique en tête, descend le Treurenberg et se dirige vers l’Université.
A son arrivée sur place, la façade la rue de l’Impératrice se trouve illuminée aux flammes de Bengale et à la lumière électrique par les soins de M.Gérard qui, avec sa complaisance habituelle, avait mis à disposition du comité la machine de la rue des Finances. L’Harmonie entonne la Brabançonne et des hurrahs frénétiques saluent d’enthousiasme  la statue de Verhaegen, rayonnante de lumière, et dont l’ombre agrandie, projetée sur la façade principale, prend des allures d’apothéose.
Les acclamations ne cessent que lorsque l’Harmonie reprend la Marche des Etudiants et se dirige par la Cantersteen, la Madeleine et les galeries Saint-Hubert, vers la Croix-de-Fer, local des Nébuleux.
De là, on marche droit sur le local des vétérinaires, rue des Poissonniers, puis on s’arrête sous les fenêtres de chez Perrin, où les corps professoral et administratif se trouvent réunis en leur banquet annuel. Les comités de la Générale et de l’Harmonie sont invités à se rendre dans la salle du Banquet. A leur entrée, les professeurs se lèvent et acclament chaleureusement les drapeaux de l’Université et des différents cercles.
En quelques mots qui portent juste et bien, Alfred Accarain, qui garde un beau sang-froid, fait son speech, au bourgmestre, au recteur, au corps professoral.
Après la réponse de M. Vander Rest, les coupes de champagne circulent. On porte des santés et on trinque dans tous les coins de la salle.
Alors les convives apparaissent au balcon, où ils font l’objet d’une ovation enthousiaste.
Le cortège rentre au local, drapeaux déployés, et se disperse en ville pour se ravitailler et reprendre des forces en vue de la sauterie du soir.

A Saint-Michel

Rarement on a vu jeunesse aussi joyeuse et aussi nombreuse que celle qui prenait ses ébats à la salle Saint-Michel.
L’entrain a encore redoublé après l’arrivée de la première marmite de punch, vaillamment conduite par les muscles puissants de Drypondt et Garnir. Bientôt la lueur blafarde de l’alcool nécessite la chanson des Scorpions, qui accompagne toujours cette solennité.
La marmite est bientôt mise à sec et bientôt remplie à nouveau d’un punch qui surpasse encore le premier.
On a beaucoup remarqué le zèle du secrétaire qui s’est cru autorisé à vider au goulot le dernier verre de la dernière bouteille de champagne.
Nous demandons d’office sa comparution devant une nouvelle Commission du Punch.
C’est la seule chose que l’on ait eu à regretter pendant cette soirée si bien remplie.
Encore une journée comme celle-ci et les étudiants auront acquis une réputation de dignité grave que leur jalouseront nos honorables du Sénat.

mardi 27 novembre 2012

Les Nébuleux : de Liège à Bruxelles

En 1886, le Cercle de Bohème est fondé à l'ULB. Il adopte le même nom qu'un Cercle de l'université de Liège, posé - lui - sur les fonds baptismaux en 1880.

Un an plus tard, le 10 octobre 1887, les étudiants bruxellois du Cercle de Bohème décident de s'appeller "Nébuleux" (Journal des Etudiants du 16 mai 1890). Comme les Ulbistes avaient le regard tourné vers la Cité ardente, il nous semble possible que ce nouveau nom ait lui aussi été emprunté à un Cercle liégeois : la Société des Nébuleux, fondée en 1857. Cela nous semble d'autant plus possible que les Nébuleux bruxellois naissent exactement 30 ans après leurs homonymes liégeois. L'adoption du même nom à une telle date, cela nous fait penser à un anniversaire... Et autre élément appuie cette hypothèse : Charles Sillevaerts indique dans ses mémoires que les Nébuleux de l'ULB "avaient, en 1912, une bonne soixantaine d'années d'existence", ce qui nous ramène pas loin de 1857, année de fondation des Nébuleux liégeois... (In illo tempore, 1962)

Une franc-maçonnerie estudiantine occulte. Vraiment ?

De cette Société nous ne savons que ce que nous en dit l'Almanach de l'Université de Liège de 1886, avec un ton mi-sérieux mi-ironique. Du coup, un doute plane sur les véritables activités du club. On imagine qu'elles devaient être à la fois intellectuelles et bachiques :

"Les Nébuleux se constituent en cercle en l'année 1857. Leur but était celui de tous nos cercles universitaires : conférences, causeries, discussions. Mais pourquoi ce titre étrange et prêtant à fâcheuse interprétation. Ah ! voilà ! Notre prédécesseur, l'Almanach de 1868, essaie une explication. Tout d'abord, il proteste véhémentement contre ceux qui accusent les Nébuleux de former une société secrète, une franc-maçonnerie occulte ; il stigmatise les infâmes calomniateurs qui prétendent que leur local est un temple où règnent dans une confusion mythologique, le grand Gambrinus et le joyeux Bacchus, sorti de la cuisse de Zeus. Mais alors, le titre ? Ah ! oui, le titre !.. Mais laissons la parole à notre aîné : "Dans l'une des réunions préparatoires à l'élaboration des statuts, l'un des membres consultés répondit que son état physique et intellectuel ne lui permettait pas de prendre en ce moment une part active à la discussion. "Je suis nébuleux en diable", dit-il. Le mot parut drôle, on s'en amusa et la clôture des débats n'était pas décidée que le premier Nébuleux avait des frères, et de voix commune on décida que le club serait nommé Société des Nébuleux. Que ceux qui ne veulent pas croire encore lisent ceci, c'est la description du local : "Des tables sont chargées de journaux, grands et petits, de toute couleur, de toute nuance, encombrées de revues scientifiques et littéraires. La Société a sa bibliothèque et son bibliothécaire. Le samedi, tous les membres se réunissent et, là, durant de longs moments on écoute, on discute un point de philosophie, de morale..." Là, êtes-vous convaincu maintenant et quand un vieil universitaire viendra vous dire qu'il en fut, des Nébuleux, et emphatiquement, vous narrera quelque fabuleuse noce, quelque gigantesque beuverie du défunt Cercle, vous lui répondrez avec l'Almanach de 1868 : calomnie, calomnie, calomnie !"

En 1868, l'Almanach ajoutait que "cet aperçu suffit pour indiquer ce qu'est la Société des Nébuleux et pour dire ce qu'elle restera car ses statuts sont forts, solides, pratiques ; car l'esprit de société, d'union, y est vivace ; car ce Cercle, enfin, est de ceux qui n'ont point perdu les bonnes traditions."

Extinction des Nébuleux

Nous ignorons quand les Nébuleux liégeois se sont éteints. Mais nous perdons la trace du club peu avant 1879, c'est-à-dire une dizaine d'années à peine avant l'apparition de leurs cousins de Bruxelles.

Ainsi, nous disposons d'une liste des présidents de leur Cercle jusqu'en 1868.
1857-1859 : Stassin
1859-1861 : Bourlart
1861-1864 : Dapsens
1864-1865 : Detrie
1865-1866 : Croquet
1866-1867 : Henroz
1867-1868 : Vanweyenberg


Et Michel Péters, vénérable Poil de Liège, nous signale qu'on possède "un Rapport de la Société des Nébuleux des années 1871 à 1873. On n’y relève aucune information complémentaire sur le nom du cercle mais seulement quelques renseignements sur les séances."
"En 1871, il est décidé de réunir les membres en deux banquets. Le premier consiste en un banquet d’installation de la commission et est donné en l’honneur des élus ; le second réunit les anciens membres. Ces banquets sont l’occasion de joyeuses fêtes terminées tardivement où les chansons sont nombreuses", comme l'épingle Michel Péters. Qui indique aussi qu'après la publication du Rapport de la Société des Nébuleux 1871-72-73 lu et approuvé dans la séance du 7 février 1874 (paru à Liège, chez Vaillant-Carmanne en 1874) le silence se fait dans les archives : "on ne connaît plus rien de la Société des Nébuleux après cette date."
Un héritage ?

Quel héritage la Société des Nébuleux de l'Université de Liège a-t-elle transmis et à qui ? La Bohême de l'ULg en a-t-elle perpétué l'organisation ? Les Nébuleux bruxellois ont-ils glané des statuts parmi ceux de leurs aînés liégeois ? Nous cherchons encore le fin mot de l'histoire...

samedi 24 novembre 2012

Défense et illustration de la chanson estudiantine

Paru dans le Bruxelles Universitaire du 25 janvier 1946, cet article - que le poète Joachim du Bellay aurait pu signer 400 ans plus tôt - est une défense drôle et (im)pertinente de la chanson estudiantine. A savourer !






samedi 17 novembre 2012

La Bohème, de l'ULg à l'ULB

En 1886, un Cercle de Bohème est fondé à l'ULB sous le même nom que celui de l’université de Liège. (Lisez : "Généalogie, chapitre 1 : Les Nébuleux")

Les statuts des étudiants bruxellois ne sont pas disponibles aux Archives de l'ULB. Ceux de leurs cousins liégeois nous sont par contre en partie dévoilés par l'Almanach de l'Université de Liège (l'A.U.L.E) publié en 1886. Cette brève met pour la première fois les deux Cercles en parallèle. Il restera à mesurer l'influence du folklore estudiantin de la Cité ardente sur le nôtre.

Les statuts de La Bohême

Nous vous livrons l'extrait du règlement de la société estudiantine liégeoise tels que Michel Peters, Ancien de l'ULg, nous les a transmis.
Le Cercle liégeois La Bohême (qui prend un étrange accent circonflexe) a été fondé vers 1880, soit quelques années seulement avant son cousin de Bruxelles. (Almanach liégeois, A.A.E.G., 1940)

Ses débuts nous sont inconnus mais l’A.U.L.E. de 1886 en dévoile les buts : "La Bohême est née de la réunion des quelques séides de l’école du plaisir, de ceux que la réaction des bloqueurs, des pschutteux et des étudiants sérieux, de ceux, disons-nous, que ce flot réactionnaire n’a pas entraîné dans le naufrage de la rigolade."
Après avoir peint le groupe des Bohêmes en ennemis héréditaires des "pschutteux" (ces manchaballes qui pensent obtenir le silence aux cours à coups de "puschtt"), l'A.U.L.E. en présente le règlement : "Le caractère folklorique des statuts du cercle impose l’insertion des principaux articles qui donnent une idée globale de la vie de La Bohême :
ART. III. Le but de ce Cercle est de ressusciter les vieilles traditions dont nos pères ont recueilli le dernier soupir, en un mot, de rigoler franchement, ouvertement et sans détours.
ART. VI. 1° Faire partie du corps universitaire ; 2° Recueillir l’unanimité des voix à l’admission ; 3° Avoir eu en toutes circonstances pour compagnes : la dèche, la femme et la bouteille ; 4° Se soumettre aux épreuves justificatives d’un caractère de franc bohême, épreuves fixées par la Société ; telles sont les conditions indispensables à l’entrée de tout récipiendaire.
ART. VII. Tout membre admis sera possesseur d’engins ingurgitatifs, tels que pot (de préférence servi dans la vie intime), verres, affectés à son usage personnel et exclusif. A l’issue de chaque Congrès, il sera tenu de remettre tout le truc aux mains du bibliothécaire.
ART. VIII. L’entrée de tout nouveau bohême sera saluée par des libations et des rasades tout à la charge du nouvel élu. D’autres solennités, telles que réjouissances publiques, illuminations, feux d’artifice, jeux populaires, courses dans les sacs, parties de rollebasse, bals champêtres, ascensions de ballons, soirées de gala, mâts de cocagne, festivals, courses, régates internationales, pourront être organisées au gré des sociétaires et devront s’exécuter au local même.
ART. IX. La Bohême est régie par une Commission composée d’un baes, dont le nom sert de firme pour la location du local, et en général pour les actes à passer avec des profanes. Ce même baes revêt les fonctions de trésorier et en cette qualité est chargé du recouvrement des crachats, du paiement des dépenses effectuées au nom et au su du Cercle, et enfin du comblement des déficits possibles ; d’un secrétaire affecté au service de la correspondance et de la rédaction des procès-verbaux et articles de journaux ; d’un bibliothécaire, spécialement attaché à la conservation dans un état de propreté relative de  tous les instruments destinés à satisfaire les besoins des gosiers altérés ; d’un pharmacien, à qui sera confiée l’officine de la Société et entre les mains de qui le cadavre des bohêmes restera, le cas échéant, en état d’observation ; d’un pompier et d’un grand-panetier, respectivement préposés à la fourniture du liquide et de la boustifaille.
ART. XV. Tout membre qui, par ses actes, sa tempérance, sa continence, cessera d’être digne du nom de bohême dans le sens que Murger attache à ce mot, sera répudié, honni et conspué par la Société.
ART. XX. Chaque bohême est astreint à un état permanent de frottage. Dans le cas où il dérogerait à cette règle, l’espace d’un mois, il tomberait sous l’application d’une amende de deux pieds. Il serait désirable qu’il introduisit dans la cassine le plus de grenouilles possible ; toutefois, si dans le délai d’un mois, un membre est convaincu de n’avoir amené aucune typesse dans le perchoir, il sera passible d’une amende d’un pied qu’il acquittera avec une rapidité qui tiendra du prodige.
ART. XXI. Chaque membre est tenu de respect envers la propriété enjuponnée du collègue ; à l’encontre duquel statut, l’exclusion de l’incriminé serait résolue par la majorité, etc., etc."

Organisation du Cercle
Ainsi que l'indiquent les statuts, le Cercle est dirigé par une "Commission" composée de six membres. On y compte un Baes (à la fois président et trésorier), un Secrétaire, un Bibliothécaire (chargé non pas de la conservation de livres précieux mais de celle des verres), un Pharmacien en charge de l'"officine" (ce qu'il faut sans doute traduire par "en charge de l'entretien du local"), un Grand-Panetier (chargé de fournir la nourriture). A qui il faut ajouter : un Pompier chargé de fournir les boissons. Le thème du "pompier" se retrouve dans de nombreux Cercles - y compris chez les Nébuleux de l'ULB - à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle : c'est un clin d'oeil au feu du gosier qu'il faut éteindre et à la pompe employée pour propulser la bière hors du fût.

L'article sur La Bohême publié par l'Almanach des étudiants liègeois en 1886 ne mentionne pas de rituel d'intronisation particulier, en dehors d'une guindaille monstre. Mais il a probablement dû en exister un. Le Secrétaire et le Président de La Bohême signent en effet l'article de leurs surnoms "Pipembois" et "Lovelace". Et, dans les Sociétés estudiantines de la fin du 19ème siècle, de tels surnoms sont en général attribués à l'issue d'un rituel de réception. C'est le cas en Suisse, en Allemagne, en Autriche... mais aussi, à la même époque, chez les Nébuleux de l'ULB.

jeudi 15 novembre 2012

Généalogie, chapitre 1 : les Nébuleux

L'origine des Nébuleux se perd dans la nuit des temps (ou à peu près) : la Bible affirme clairement "In illo tempore jam terra erat nebulosa". Flashback...

Du Cercle de Bohème aux Nébuleux

En 1886, le Cercle de Bohème est fondé à l'ULB. Il doit alors son nom à son cousin de l’université de Liège.

Un an plus tard, le 10 octobre 1887, le Cercle de Bohème décide de prendre l’appellation de "Nébuleux", annonce le Journal des Etudiants (du 16 mai 1890). Le vocable "nébuleux" a sans doute lui aussi été emprunté à un Cercle liégeois, la Société des Nébuleux, fondée en 1857.

Quelques articles des statuts du nouveau club sont "glanés parmi les règlements des anciens cercles d’étudiants et particulièrement dans celui de Liège". Le tout est propulsé, dans les "splendides appartements" de Maurice Desenfant, par les "camarades Lacroix, Payant, Gaston Beghin, Valère Mahieux, etc."

Le but du Cercle était d'organiser des bals. Plus précisément, l'article 2 des statuts prévoyait : "Le but du cercle est d’organiser des concerts, bals, fêtes, pique-niques, réunions intimes, excursions, dîners et soupers." (Philippe Van Lil, « 1887 : Les Nébuleux », in L’Agenda de l’ULB, « Les sectes à l’ULB », novembre-décembre 1990.)

Nébulosus, ex !

S'il est impossible de dater avec précision l'extinction des Nébuleux, une lettre de 1927, conservée aux Archives de l’ULB, permet d’estimer qu'ils ont vécu moins d'une dizaine d’année après Première guerre mondiale : "Bruxelles, 20 avril 1927, 12 rue au Choux.
Cher Camarade, Le cercle des Nébuleux, dont vous fûtes, nos archives en font foi, un des membres les plus dévoués, n’a pas survécu à la guerre".

Cette lettre est une invitation à fêter le 7 mai, devant "une table garnie de mets délicats et de vins généreux", le quarantième anniversaire des Nébuleux et l’élection d’un des leurs : "l’arrondissement de Soignies […] vient d’appeler pour le représenter au Parlement, notre ancien Vénérable, notre sympathique ami Léon Lepoivre, notaire à Lessines". Le lieu de rendez-vous était tout trouvé : "Nul cadre, pensons-nous, ne pouvait mieux se prêter à la célébration de ce double événement que notre ancien local "Le Diable au Corps", 12 rue aux choux, chez l’ami Jules Gaspar".

La déflagration de 1914-1918

La lettre ne donne pas les raisons précises de la mort du Cercle. Nous pouvons cependant imaginer ce qui a mis fin à ses activités.

Pendant longtemps, les students étaient essentiellement issus de "bonnes" familles. "La plupart des étudiants provenaient de la haute bourgeoisie, leurs pères exerçant des professions libérales ou appartenant au monde de la finance et de l'industrie. Certains de ces "fils à papa", dont le premier souci n'était pas de s'assurer un gagne-pain, pouvaient se permettre un aimable dilettantisme et mettaient parfois une dizaine d'années à décrocher un diplôme qu'il était possible d'obtenir en moitié moins de temps". Et les Nébuleux correspondaient assez bien à ce portrait.

La Première guerre mondiale provoqua un changement dans la composition sociale de l'ULB : "des représentants de classes moins aisées accédèrent petit à petit à l'Université ; parmi eux nombres d'anciens combattants, des fils et des filles d'instituteurs, de régents, de fonctionnaires subalternes, de petits commerçants". (André Uyttebrouk et Andrée Despy-Meyer, Les cent cinquante ans de l'Université Libre de Bruxelles (1834-1984), éd. de l'ULB, 1984)

Finis, donc, les guindailles monstres et les bals fastueux organisés par les Nébuleux.

La rupture que connaît l’esprit estudiantin est aussi marquée dans les chairs. Le traumatisme est profond. Durant la guerre 1914-1918, l’ULB a perdu 67 étudiants (Université libre de Bruxelles, Annuaire pour les années administratives 1914-1918, 1919). Mais bien plus nombreux sont ceux que l'expérience du Front a choqué... Pour comprendre l’atmosphère qui régnait dans les Cercles, il suffit de lire la Revue des Sciences de 1919 ou le journal satirique Le Taon. Les bénéfices tirés de la vente du Taon - l'organe officiel de l'Association générale des étudiants de l'ULB - sont d'ailleurs destinés à élever un monument "à nos frères, morts pour la patrie" (Dans Le Taon de Pâques 1919, on retrouve déjà la formule "Frères, faites que nous soyons pas morts en vain", qu'on retrouvera gravée dans le Hall des Marbres, au Solbosch.)

Des Nébuleux aux Macchabées

Selon un recoupement de sources orales, il semble qu’à l’issue de la "Grande guerre" certains Nébuleux aient continué à se réunir quelques années au cabaret du Diable au Corps, jusqu’à la mise en sommeil du groupe. D'autres membres, sous les quolibets des premiers, auraient intégré une nouvelle société : les Macchabées.

L'aura des Nébuleux n'en était pas moins forte. En 1922, la première édition des Fleurs du Mâle leur fait encore l'honneur des "Petits chagrins". Cette chanson - écrite sans doute bien avant l'impression des Fleurs - évoque les Bals nébuleux, où l'on croisait manifestement plus de Poils que de Plumes.
Petits chagrins

A Saint-Verhaeg', d' les voir gueuler,
Sauter, s' gober, se démener,
Ca me dégoûte !
J'aime mieux maint's pint's aller siffler.
Moi,j'suis un typ' bien plus rangé,
J' préfèr' la cuite !

C'est comme au Bal des Nébuleux,
On a à peine un' femm' pour deux !
Ca me dégoûte !
Au lieu d' risquer de ramasser
Quéqu' chos' que j'avais pas d'mandé,
J' préfèr' la cuite !

Aux séanc's, v'la c' qu'est mon dada,
Les autr's discour'nt qu' ça n' finit pas,
Ca me dégoûte !
Crier, gueuler et s'emmerder
Somm' tout' pour n'en rien retirer.
J' préfèr' la cuite !

Y en a qui bloqu'nt comm' des cochons
Pour décrocher la distinction !
Ca me dégoûte !
Moi, j' bûche aussi, ça c'est castar !
Seul'ment j' m'y prends toujours trop tard,
J' préfèr' la cuite !
Y en a qui font l'amour en rêve
Ils bais'raient des lèvres sans trève,
Ca me dégoûte !
Moi, je n' suis pas de c't avis-là,
Pas d' 606 pour gueul's de bois,
J' préfèr' la cuite !


Et lorsque "La Buse" - qui salue les orgies des Nébuleux - est publiée dans l'édition de 1935 des Fleurs du Mâle, les Nébuleux se sont éteints depuis une quinzaine d'années. Preuve s'il en est que leur souvenir restera longtemps vivant chez les guindailleurs.

La Buse
(Air : "Verdun, on ne passe pas")

Avant la guerre, on respectait mon culte,
J’avais un tas d’adorateurs joyeux
Qui pour ne pas me lancer une insulte
M’adoptaient tous et sans espérer mieux.
Ah ! les beaux jours de bohème et d’orgie
Quand je couvrais Sauriens et Nébuleux,
Que soit béni son amour fabuleux.

A ceux-là d’un petit air tendre
Quand ils venaient à l’examen,
Je disais sans faire d’esclandre :
« Halte-là, mes beaux chérubins,
Nos amours ne sont pas finies,
Pourquoi vouloir quitter mon bras ?
Je suis la buse, votre amie,
En juillet, on ne passe pas !

Las ! Maintenant un vent de labeur souffle
Sur les vieux murs de l'Université.
Je suis montrée du doigt par les maroufles
Se retranchant dans leur austérité.
Mais pour sécher mes yeux noirs qui s'embrouillent
Se sont levés les descendants des preux.
Je vais séduire encor' quelques vadrouilles
Chantant la bière ainsi que leurs aïeux.

mardi 13 novembre 2012

Résurrection des Crocodiles en 1920 ?

La Société des Crocodiles, active dans les années 1850, a-t-elle été relancée en 1920, sous la forme d'un Cercle "hermétique" ? Celui-ci a-t-il vécu jusqu'en 1923 ou plus longtemps encore ? Des étudiants ont-ils relancé la structure des Crocodiles ou n'en ont-ils relevé que le nom ? Tout cela n'est-il en définitive qu'un canular du Bruxelles Universitaire ?

Beaucoup de questions... Mais probablement aucune réponse : Bruxelles Universitaire ne parle plus de ce Cercle hypothétique après y avoir consacré le billet prometteur (que vous lirez ci-dessous) titré "Une formidable indiscrétion !" dans son numéro du 21 mars 1923.

La lettre de candidature aux Crocodiles, que le B.U. affirme avoir photographiée, emploie le verbe "distiller".  C'est - à notre avis - la plus ancienne trace connue de ce terme d'argot poilique, qu'on peut traduire par "boire aux frais du Bourgeois". Le substantif "distillation" sera, lui, imprimé pour la première fois dans le B.U. en 1926.


Une formidable indiscrétion !

La rédaction du B.U. est parvenue à photographier un document adressé à la mystérieuse secte des Crocos. Il s'agit d'une demande d'admission rédigée sur papier d'échine par un nouveau membre viril.

Cette lettre inédite ne laisse aucun doute sur la mentalité de ce groupe hermétique et tintinabulant qui déjà en 1920 adressait de Habay-la-Neuve (12h1/2 du soir) à l'A.G. un télégramme subversif signé en toutes lettres : Bémol, Bidasse, Properce, Lommel, Picrate et Permanganate.

Bruxelles, datte sans noyau.

A Messieurs les Membres de l'Illustre Assemblée des CROCOS,
Messieurs les Crocos,
Je sousigné A... J... M... E... M..., domicilé à Bruxelles, avec P... 69-1, baptisé contre son gré, pas encore décoré, mais cependant vacciné deux fois, ayant appris à distiller et à dégueuler, ayant des poils sur la tête, en dessous du nez, autre part et dans ses relations ;
Désireux de participer à la vie crocodilesque, aquatique, cinématographique et ambulatoire,
Sollicite son élévation au titre de membre de la Société des CROCOS et présente à ceux-ci ses salutations a-lambiquées.
A.M.

dimanche 11 novembre 2012

La pompe à merde

"La pompe à merde" (aussi appelée "Marseillaise des vidangeurs") est sans doute la plus fleuries des cérémonies bibitives. On en retrouve déjà les principaux couplets dans les Fleurs du Mâle de 1935 sous le titre d'"Ode à la merde". Mais c'est l'édition de poche des Fleurs de 1948 qui va en donner une version complète, c'est-à-dire avec une partie parlée et les consignes qui l'accompagnent.

Quoiqu'il en soit, ce rite d'afond (sans doute connu avant 1935) n'a plus quitter le chansonnier bruxellois depuis qu'il y a été introduit. Ainsi, au début des années 1990, les soirs de Saint-Verhaegen, La Bécasse de la rue de Tabora voyait encore une tablée de vieux Poils grisonnants s'adonner aux délices de la "Pompe à merde". Nous donnons les paroles et les gestes de ce rituel de bière, tel que nous l'avons pratiqué avec eux.

Concrètement

Le premier couplet et ceux qui suivent l'afond collectif sont chantés sur l'air du "Plaisir des dieux". Pendant que l'assemblée entonne ces couplets, on remplit les verres de bière, quitte à ce qu'ils débordent.

Le président de séance peut faire exécuter trois afonds à toute l'assemblée (mais cela impose à l'échanson de servir très rapidement beaucoup de membres). Ou le président peut faire boire l'assemblée en trois temps : le Comité exécute le premier afond, l'aile gauche de la Corona le deuxième afond et enfin l'aile droite le troisième afond. Cette seconde façon de procéder laisse plus de temps aux néophytes pour observer la cérémonie et pour apprendre les bruits à faire. Cette version est aussi moins exigeante pour l'échanson).

Sur le site Chansons-Paillardes.net, vous pouvez entendre trois versions de la cérémonie : celle reprise sur le disque Bacchus (au format MP3), celle chantée sur le disque Plaisir des dieux (au format MP3 itou) et celle du vinyl Tonus (toujours au format MP3).


La pompe à merde

Entendez-vous, plac’ de la République
Quand les lampions commenc’nt à s’allumer,
Le bruit joyeux de notre mécanique ?
La pompe à merd’ se met à fonctionner.

Et puisqu’il faut que rien n’ se pe-e-erde
Dans la nature où tout est bon,
Amis, pressons, pressons la pompe à me-e-erde,
Le jour se lève à l’horizon.

Pompons la merde et pompons-la gaiement
En envoyant s’ fair’ foutr’ ceux qui n’ sont pas des frères.
Pompons la merde et pompons-la gaiement
En envoyant s’ fair’ foutr’ ceux qui n’ sont pas contents !

Ambiance. Parlé :
Le président : « Faites avancer la première voiture. »
(L’assemblée émet un hennissement de cheval.)
Le président : « Vérifiez les manomètres »
(L’assemblée martèle les verres avec des cuillères.)
Le président : « Renversez la vapeur ! »
(L’assemblée émet un sifflement.)
Le président : « Maintenant, vous allez me pomper ça, avec tout votre cœur. Un, deux, trois ! »
(A ce signal, chaque membre de l'assemblée vide son verre en afond.)


Soupe à l’oignon, bouillon démocratique,
Perdreaux truffés du faubourg Saint-Germain,
Vous serez tous, c’est une loi physique,
Bouffés un jour, chi-és le lendemain.

Et puisqu’il faut que rien n’ se pe-e-erde
Dans la nature où tout est bon,
Amis, pressons, pressons la pompe à me-e-erde,
Le jour se lève à l’horizon.

Pompons la merde et pompons-la gaiement
En envoyant s’ fair’ foutr’ ceux qui n’ sont pas des frères.
Pompons la merde et pompons-la gaiement
En envoyant s’ fair’ foutr’ ceux qui n’ sont pas contents !

Ambiance. Parlé :
Le président : « Faites avancer la deuxième voiture. »
(L’assemblée émet un hennissement de cheval.)
Le président : « Vérifiez les manomètres »
(L’assemblée martèle les verres avec des cuillères.)
Le président : « Renversez la vapeur ! »
(L’assemblée émet un sifflement.)
Le président : « Maintenant, vous allez me pomper ça, avec tout votre cœur. Un, deux, trois ! »
(A ce signal, chaque membre de l’assemblée vide son verre en afond.)


Fille de roi de ta beauté si fière,
Tu dois chier, ainsi Dieu l’a voulu,
Ton cul royal, comme un cul prolétaire
A la natur' doit payer son tribut.

Et puisqu’il faut que rien n’ se pe-e-erde
Dans la nature où tout est bon,
Amis, pressons, pressons la pompe à me-e-erde,
Le jour se lève à l’horizon.

Pompons la merde et pompons-la gaiement
En envoyant s’ fair’ foutr’ ceux qui n’ sont pas des frères.
Pompons la merde et pompons-la gaiement
En envoyant s’ fair’ foutr’ ceux qui n’ sont pas contents !

Ambiance. Parlé :
Le président : « Faites avancer la troisième et dernière voiture. »
(L’assemblée émet un hennissement de cheval.)
Le président : « Vérifiez les manomètres »
(L’assemblée martèle les verres avec des cuillères.)
Le président : « Renversez la vapeur ! »
(L’assemblée émet un sifflement.)
Le président : « Maintenant, vous allez me pomper ça, avec tout votre cœur. Un, deux, trois ! »
(A ce signal, chaque membre de l’assemblée vide son verre en afond.)