mardi 27 novembre 2012

Les Nébuleux : de Liège à Bruxelles

En 1886, le Cercle de Bohème est fondé à l'ULB. Il adopte le même nom qu'un Cercle de l'université de Liège, posé - lui - sur les fonds baptismaux en 1880.

Un an plus tard, le 10 octobre 1887, les étudiants bruxellois du Cercle de Bohème décident de s'appeller "Nébuleux" (Journal des Etudiants du 16 mai 1890). Comme les Ulbistes avaient le regard tourné vers la Cité ardente, il nous semble possible que ce nouveau nom ait lui aussi été emprunté à un Cercle liégeois : la Société des Nébuleux, fondée en 1857. Cela nous semble d'autant plus possible que les Nébuleux bruxellois naissent exactement 30 ans après leurs homonymes liégeois. L'adoption du même nom à une telle date, cela nous fait penser à un anniversaire... Et autre élément appuie cette hypothèse : Charles Sillevaerts indique dans ses mémoires que les Nébuleux de l'ULB "avaient, en 1912, une bonne soixantaine d'années d'existence", ce qui nous ramène pas loin de 1857, année de fondation des Nébuleux liégeois... (In illo tempore, 1962)

Une franc-maçonnerie estudiantine occulte. Vraiment ?

De cette Société nous ne savons que ce que nous en dit l'Almanach de l'Université de Liège de 1886, avec un ton mi-sérieux mi-ironique. Du coup, un doute plane sur les véritables activités du club. On imagine qu'elles devaient être à la fois intellectuelles et bachiques :

"Les Nébuleux se constituent en cercle en l'année 1857. Leur but était celui de tous nos cercles universitaires : conférences, causeries, discussions. Mais pourquoi ce titre étrange et prêtant à fâcheuse interprétation. Ah ! voilà ! Notre prédécesseur, l'Almanach de 1868, essaie une explication. Tout d'abord, il proteste véhémentement contre ceux qui accusent les Nébuleux de former une société secrète, une franc-maçonnerie occulte ; il stigmatise les infâmes calomniateurs qui prétendent que leur local est un temple où règnent dans une confusion mythologique, le grand Gambrinus et le joyeux Bacchus, sorti de la cuisse de Zeus. Mais alors, le titre ? Ah ! oui, le titre !.. Mais laissons la parole à notre aîné : "Dans l'une des réunions préparatoires à l'élaboration des statuts, l'un des membres consultés répondit que son état physique et intellectuel ne lui permettait pas de prendre en ce moment une part active à la discussion. "Je suis nébuleux en diable", dit-il. Le mot parut drôle, on s'en amusa et la clôture des débats n'était pas décidée que le premier Nébuleux avait des frères, et de voix commune on décida que le club serait nommé Société des Nébuleux. Que ceux qui ne veulent pas croire encore lisent ceci, c'est la description du local : "Des tables sont chargées de journaux, grands et petits, de toute couleur, de toute nuance, encombrées de revues scientifiques et littéraires. La Société a sa bibliothèque et son bibliothécaire. Le samedi, tous les membres se réunissent et, là, durant de longs moments on écoute, on discute un point de philosophie, de morale..." Là, êtes-vous convaincu maintenant et quand un vieil universitaire viendra vous dire qu'il en fut, des Nébuleux, et emphatiquement, vous narrera quelque fabuleuse noce, quelque gigantesque beuverie du défunt Cercle, vous lui répondrez avec l'Almanach de 1868 : calomnie, calomnie, calomnie !"

En 1868, l'Almanach ajoutait que "cet aperçu suffit pour indiquer ce qu'est la Société des Nébuleux et pour dire ce qu'elle restera car ses statuts sont forts, solides, pratiques ; car l'esprit de société, d'union, y est vivace ; car ce Cercle, enfin, est de ceux qui n'ont point perdu les bonnes traditions."

Extinction des Nébuleux

Nous ignorons quand les Nébuleux liégeois se sont éteints. Mais nous perdons la trace du club peu avant 1879, c'est-à-dire une dizaine d'années à peine avant l'apparition de leurs cousins de Bruxelles.

Ainsi, nous disposons d'une liste des présidents de leur Cercle jusqu'en 1868.
1857-1859 : Stassin
1859-1861 : Bourlart
1861-1864 : Dapsens
1864-1865 : Detrie
1865-1866 : Croquet
1866-1867 : Henroz
1867-1868 : Vanweyenberg


Et Michel Péters, vénérable Poil de Liège, nous signale qu'on possède "un Rapport de la Société des Nébuleux des années 1871 à 1873. On n’y relève aucune information complémentaire sur le nom du cercle mais seulement quelques renseignements sur les séances."
"En 1871, il est décidé de réunir les membres en deux banquets. Le premier consiste en un banquet d’installation de la commission et est donné en l’honneur des élus ; le second réunit les anciens membres. Ces banquets sont l’occasion de joyeuses fêtes terminées tardivement où les chansons sont nombreuses", comme l'épingle Michel Péters. Qui indique aussi qu'après la publication du Rapport de la Société des Nébuleux 1871-72-73 lu et approuvé dans la séance du 7 février 1874 (paru à Liège, chez Vaillant-Carmanne en 1874) le silence se fait dans les archives : "on ne connaît plus rien de la Société des Nébuleux après cette date."
Un héritage ?

Quel héritage la Société des Nébuleux de l'Université de Liège a-t-elle transmis et à qui ? La Bohême de l'ULg en a-t-elle perpétué l'organisation ? Les Nébuleux bruxellois ont-ils glané des statuts parmi ceux de leurs aînés liégeois ? Nous cherchons encore le fin mot de l'histoire...

samedi 24 novembre 2012

Défense et illustration de la chanson estudiantine

Paru dans le Bruxelles Universitaire du 25 janvier 1946, cet article - que le poète Joachim du Bellay aurait pu signer 400 ans plus tôt - est une défense drôle et (im)pertinente de la chanson estudiantine. A savourer !






samedi 17 novembre 2012

La Bohème, de l'ULg à l'ULB

En 1886, un Cercle de Bohème est fondé à l'ULB sous le même nom que celui de l’université de Liège. (Lisez : "Généalogie, chapitre 1 : Les Nébuleux")

Les statuts des étudiants bruxellois ne sont pas disponibles aux Archives de l'ULB. Ceux de leurs cousins liégeois nous sont par contre en partie dévoilés par l'Almanach de l'Université de Liège (l'A.U.L.E) publié en 1886. Cette brève met pour la première fois les deux Cercles en parallèle. Il restera à mesurer l'influence du folklore estudiantin de la Cité ardente sur le nôtre.

Les statuts de La Bohême

Nous vous livrons l'extrait du règlement de la société estudiantine liégeoise tels que Michel Peters, Ancien de l'ULg, nous les a transmis.
Le Cercle liégeois La Bohême (qui prend un étrange accent circonflexe) a été fondé vers 1880, soit quelques années seulement avant son cousin de Bruxelles. (Almanach liégeois, A.A.E.G., 1940)

Ses débuts nous sont inconnus mais l’A.U.L.E. de 1886 en dévoile les buts : "La Bohême est née de la réunion des quelques séides de l’école du plaisir, de ceux que la réaction des bloqueurs, des pschutteux et des étudiants sérieux, de ceux, disons-nous, que ce flot réactionnaire n’a pas entraîné dans le naufrage de la rigolade."
Après avoir peint le groupe des Bohêmes en ennemis héréditaires des "pschutteux" (ces manchaballes qui pensent obtenir le silence aux cours à coups de "puschtt"), l'A.U.L.E. en présente le règlement : "Le caractère folklorique des statuts du cercle impose l’insertion des principaux articles qui donnent une idée globale de la vie de La Bohême :
ART. III. Le but de ce Cercle est de ressusciter les vieilles traditions dont nos pères ont recueilli le dernier soupir, en un mot, de rigoler franchement, ouvertement et sans détours.
ART. VI. 1° Faire partie du corps universitaire ; 2° Recueillir l’unanimité des voix à l’admission ; 3° Avoir eu en toutes circonstances pour compagnes : la dèche, la femme et la bouteille ; 4° Se soumettre aux épreuves justificatives d’un caractère de franc bohême, épreuves fixées par la Société ; telles sont les conditions indispensables à l’entrée de tout récipiendaire.
ART. VII. Tout membre admis sera possesseur d’engins ingurgitatifs, tels que pot (de préférence servi dans la vie intime), verres, affectés à son usage personnel et exclusif. A l’issue de chaque Congrès, il sera tenu de remettre tout le truc aux mains du bibliothécaire.
ART. VIII. L’entrée de tout nouveau bohême sera saluée par des libations et des rasades tout à la charge du nouvel élu. D’autres solennités, telles que réjouissances publiques, illuminations, feux d’artifice, jeux populaires, courses dans les sacs, parties de rollebasse, bals champêtres, ascensions de ballons, soirées de gala, mâts de cocagne, festivals, courses, régates internationales, pourront être organisées au gré des sociétaires et devront s’exécuter au local même.
ART. IX. La Bohême est régie par une Commission composée d’un baes, dont le nom sert de firme pour la location du local, et en général pour les actes à passer avec des profanes. Ce même baes revêt les fonctions de trésorier et en cette qualité est chargé du recouvrement des crachats, du paiement des dépenses effectuées au nom et au su du Cercle, et enfin du comblement des déficits possibles ; d’un secrétaire affecté au service de la correspondance et de la rédaction des procès-verbaux et articles de journaux ; d’un bibliothécaire, spécialement attaché à la conservation dans un état de propreté relative de  tous les instruments destinés à satisfaire les besoins des gosiers altérés ; d’un pharmacien, à qui sera confiée l’officine de la Société et entre les mains de qui le cadavre des bohêmes restera, le cas échéant, en état d’observation ; d’un pompier et d’un grand-panetier, respectivement préposés à la fourniture du liquide et de la boustifaille.
ART. XV. Tout membre qui, par ses actes, sa tempérance, sa continence, cessera d’être digne du nom de bohême dans le sens que Murger attache à ce mot, sera répudié, honni et conspué par la Société.
ART. XX. Chaque bohême est astreint à un état permanent de frottage. Dans le cas où il dérogerait à cette règle, l’espace d’un mois, il tomberait sous l’application d’une amende de deux pieds. Il serait désirable qu’il introduisit dans la cassine le plus de grenouilles possible ; toutefois, si dans le délai d’un mois, un membre est convaincu de n’avoir amené aucune typesse dans le perchoir, il sera passible d’une amende d’un pied qu’il acquittera avec une rapidité qui tiendra du prodige.
ART. XXI. Chaque membre est tenu de respect envers la propriété enjuponnée du collègue ; à l’encontre duquel statut, l’exclusion de l’incriminé serait résolue par la majorité, etc., etc."

Organisation du Cercle
Ainsi que l'indiquent les statuts, le Cercle est dirigé par une "Commission" composée de six membres. On y compte un Baes (à la fois président et trésorier), un Secrétaire, un Bibliothécaire (chargé non pas de la conservation de livres précieux mais de celle des verres), un Pharmacien en charge de l'"officine" (ce qu'il faut sans doute traduire par "en charge de l'entretien du local"), un Grand-Panetier (chargé de fournir la nourriture). A qui il faut ajouter : un Pompier chargé de fournir les boissons. Le thème du "pompier" se retrouve dans de nombreux Cercles - y compris chez les Nébuleux de l'ULB - à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle : c'est un clin d'oeil au feu du gosier qu'il faut éteindre et à la pompe employée pour propulser la bière hors du fût.

L'article sur La Bohême publié par l'Almanach des étudiants liègeois en 1886 ne mentionne pas de rituel d'intronisation particulier, en dehors d'une guindaille monstre. Mais il a probablement dû en exister un. Le Secrétaire et le Président de La Bohême signent en effet l'article de leurs surnoms "Pipembois" et "Lovelace". Et, dans les Sociétés estudiantines de la fin du 19ème siècle, de tels surnoms sont en général attribués à l'issue d'un rituel de réception. C'est le cas en Suisse, en Allemagne, en Autriche... mais aussi, à la même époque, chez les Nébuleux de l'ULB.

jeudi 15 novembre 2012

Généalogie, chapitre 1 : les Nébuleux

L'origine des Nébuleux se perd dans la nuit des temps (ou à peu près) : la Bible affirme clairement "In illo tempore jam terra erat nebulosa". Flashback...

Du Cercle de Bohème aux Nébuleux

En 1886, le Cercle de Bohème est fondé à l'ULB. Il doit alors son nom à son cousin de l’université de Liège.

Un an plus tard, le 10 octobre 1887, le Cercle de Bohème décide de prendre l’appellation de "Nébuleux", annonce le Journal des Etudiants (du 16 mai 1890). Le vocable "nébuleux" a sans doute lui aussi été emprunté à un Cercle liégeois, la Société des Nébuleux, fondée en 1857.

Quelques articles des statuts du nouveau club sont "glanés parmi les règlements des anciens cercles d’étudiants et particulièrement dans celui de Liège". Le tout est propulsé, dans les "splendides appartements" de Maurice Desenfant, par les "camarades Lacroix, Payant, Gaston Beghin, Valère Mahieux, etc."

Le but du Cercle était d'organiser des bals. Plus précisément, l'article 2 des statuts prévoyait : "Le but du cercle est d’organiser des concerts, bals, fêtes, pique-niques, réunions intimes, excursions, dîners et soupers." (Philippe Van Lil, « 1887 : Les Nébuleux », in L’Agenda de l’ULB, « Les sectes à l’ULB », novembre-décembre 1990.)

Nébulosus, ex !

S'il est impossible de dater avec précision l'extinction des Nébuleux, une lettre de 1927, conservée aux Archives de l’ULB, permet d’estimer qu'ils ont vécu moins d'une dizaine d’année après Première guerre mondiale : "Bruxelles, 20 avril 1927, 12 rue au Choux.
Cher Camarade, Le cercle des Nébuleux, dont vous fûtes, nos archives en font foi, un des membres les plus dévoués, n’a pas survécu à la guerre".

Cette lettre est une invitation à fêter le 7 mai, devant "une table garnie de mets délicats et de vins généreux", le quarantième anniversaire des Nébuleux et l’élection d’un des leurs : "l’arrondissement de Soignies […] vient d’appeler pour le représenter au Parlement, notre ancien Vénérable, notre sympathique ami Léon Lepoivre, notaire à Lessines". Le lieu de rendez-vous était tout trouvé : "Nul cadre, pensons-nous, ne pouvait mieux se prêter à la célébration de ce double événement que notre ancien local "Le Diable au Corps", 12 rue aux choux, chez l’ami Jules Gaspar".

La déflagration de 1914-1918

La lettre ne donne pas les raisons précises de la mort du Cercle. Nous pouvons cependant imaginer ce qui a mis fin à ses activités.

Pendant longtemps, les students étaient essentiellement issus de "bonnes" familles. "La plupart des étudiants provenaient de la haute bourgeoisie, leurs pères exerçant des professions libérales ou appartenant au monde de la finance et de l'industrie. Certains de ces "fils à papa", dont le premier souci n'était pas de s'assurer un gagne-pain, pouvaient se permettre un aimable dilettantisme et mettaient parfois une dizaine d'années à décrocher un diplôme qu'il était possible d'obtenir en moitié moins de temps". Et les Nébuleux correspondaient assez bien à ce portrait.

La Première guerre mondiale provoqua un changement dans la composition sociale de l'ULB : "des représentants de classes moins aisées accédèrent petit à petit à l'Université ; parmi eux nombres d'anciens combattants, des fils et des filles d'instituteurs, de régents, de fonctionnaires subalternes, de petits commerçants". (André Uyttebrouk et Andrée Despy-Meyer, Les cent cinquante ans de l'Université Libre de Bruxelles (1834-1984), éd. de l'ULB, 1984)

Finis, donc, les guindailles monstres et les bals fastueux organisés par les Nébuleux.

La rupture que connaît l’esprit estudiantin est aussi marquée dans les chairs. Le traumatisme est profond. Durant la guerre 1914-1918, l’ULB a perdu 67 étudiants (Université libre de Bruxelles, Annuaire pour les années administratives 1914-1918, 1919). Mais bien plus nombreux sont ceux que l'expérience du Front a choqué... Pour comprendre l’atmosphère qui régnait dans les Cercles, il suffit de lire la Revue des Sciences de 1919 ou le journal satirique Le Taon. Les bénéfices tirés de la vente du Taon - l'organe officiel de l'Association générale des étudiants de l'ULB - sont d'ailleurs destinés à élever un monument "à nos frères, morts pour la patrie" (Dans Le Taon de Pâques 1919, on retrouve déjà la formule "Frères, faites que nous soyons pas morts en vain", qu'on retrouvera gravée dans le Hall des Marbres, au Solbosch.)

Des Nébuleux aux Macchabées

Selon un recoupement de sources orales, il semble qu’à l’issue de la "Grande guerre" certains Nébuleux aient continué à se réunir quelques années au cabaret du Diable au Corps, jusqu’à la mise en sommeil du groupe. D'autres membres, sous les quolibets des premiers, auraient intégré une nouvelle société : les Macchabées.

L'aura des Nébuleux n'en était pas moins forte. En 1922, la première édition des Fleurs du Mâle leur fait encore l'honneur des "Petits chagrins". Cette chanson - écrite sans doute bien avant l'impression des Fleurs - évoque les Bals nébuleux, où l'on croisait manifestement plus de Poils que de Plumes.
Petits chagrins

A Saint-Verhaeg', d' les voir gueuler,
Sauter, s' gober, se démener,
Ca me dégoûte !
J'aime mieux maint's pint's aller siffler.
Moi,j'suis un typ' bien plus rangé,
J' préfèr' la cuite !

C'est comme au Bal des Nébuleux,
On a à peine un' femm' pour deux !
Ca me dégoûte !
Au lieu d' risquer de ramasser
Quéqu' chos' que j'avais pas d'mandé,
J' préfèr' la cuite !

Aux séanc's, v'la c' qu'est mon dada,
Les autr's discour'nt qu' ça n' finit pas,
Ca me dégoûte !
Crier, gueuler et s'emmerder
Somm' tout' pour n'en rien retirer.
J' préfèr' la cuite !

Y en a qui bloqu'nt comm' des cochons
Pour décrocher la distinction !
Ca me dégoûte !
Moi, j' bûche aussi, ça c'est castar !
Seul'ment j' m'y prends toujours trop tard,
J' préfèr' la cuite !
Y en a qui font l'amour en rêve
Ils bais'raient des lèvres sans trève,
Ca me dégoûte !
Moi, je n' suis pas de c't avis-là,
Pas d' 606 pour gueul's de bois,
J' préfèr' la cuite !


Et lorsque "La Buse" - qui salue les orgies des Nébuleux - est publiée dans l'édition de 1935 des Fleurs du Mâle, les Nébuleux se sont éteints depuis une quinzaine d'années. Preuve s'il en est que leur souvenir restera longtemps vivant chez les guindailleurs.

La Buse
(Air : "Verdun, on ne passe pas")

Avant la guerre, on respectait mon culte,
J’avais un tas d’adorateurs joyeux
Qui pour ne pas me lancer une insulte
M’adoptaient tous et sans espérer mieux.
Ah ! les beaux jours de bohème et d’orgie
Quand je couvrais Sauriens et Nébuleux,
Que soit béni son amour fabuleux.

A ceux-là d’un petit air tendre
Quand ils venaient à l’examen,
Je disais sans faire d’esclandre :
« Halte-là, mes beaux chérubins,
Nos amours ne sont pas finies,
Pourquoi vouloir quitter mon bras ?
Je suis la buse, votre amie,
En juillet, on ne passe pas !

Las ! Maintenant un vent de labeur souffle
Sur les vieux murs de l'Université.
Je suis montrée du doigt par les maroufles
Se retranchant dans leur austérité.
Mais pour sécher mes yeux noirs qui s'embrouillent
Se sont levés les descendants des preux.
Je vais séduire encor' quelques vadrouilles
Chantant la bière ainsi que leurs aïeux.

mardi 13 novembre 2012

Résurrection des Crocodiles en 1920 ?

La Société des Crocodiles, active dans les années 1850, a-t-elle été relancée en 1920, sous la forme d'un Cercle "hermétique" ? Celui-ci a-t-il vécu jusqu'en 1923 ou plus longtemps encore ? Des étudiants ont-ils relancé la structure des Crocodiles ou n'en ont-ils relevé que le nom ? Tout cela n'est-il en définitive qu'un canular du Bruxelles Universitaire ?

Beaucoup de questions... Mais probablement aucune réponse : Bruxelles Universitaire ne parle plus de ce Cercle hypothétique après y avoir consacré le billet prometteur (que vous lirez ci-dessous) titré "Une formidable indiscrétion !" dans son numéro du 21 mars 1923.

La lettre de candidature aux Crocodiles, que le B.U. affirme avoir photographiée, emploie le verbe "distiller".  C'est - à notre avis - la plus ancienne trace connue de ce terme d'argot poilique, qu'on peut traduire par "boire aux frais du Bourgeois". Le substantif "distillation" sera, lui, imprimé pour la première fois dans le B.U. en 1926.


Une formidable indiscrétion !

La rédaction du B.U. est parvenue à photographier un document adressé à la mystérieuse secte des Crocos. Il s'agit d'une demande d'admission rédigée sur papier d'échine par un nouveau membre viril.

Cette lettre inédite ne laisse aucun doute sur la mentalité de ce groupe hermétique et tintinabulant qui déjà en 1920 adressait de Habay-la-Neuve (12h1/2 du soir) à l'A.G. un télégramme subversif signé en toutes lettres : Bémol, Bidasse, Properce, Lommel, Picrate et Permanganate.

Bruxelles, datte sans noyau.

A Messieurs les Membres de l'Illustre Assemblée des CROCOS,
Messieurs les Crocos,
Je sousigné A... J... M... E... M..., domicilé à Bruxelles, avec P... 69-1, baptisé contre son gré, pas encore décoré, mais cependant vacciné deux fois, ayant appris à distiller et à dégueuler, ayant des poils sur la tête, en dessous du nez, autre part et dans ses relations ;
Désireux de participer à la vie crocodilesque, aquatique, cinématographique et ambulatoire,
Sollicite son élévation au titre de membre de la Société des CROCOS et présente à ceux-ci ses salutations a-lambiquées.
A.M.

dimanche 11 novembre 2012

La pompe à merde

"La pompe à merde" (aussi appelée "Marseillaise des vidangeurs") est sans doute la plus fleuries des cérémonies bibitives. On en retrouve déjà les principaux couplets dans les Fleurs du Mâle de 1935 sous le titre d'"Ode à la merde". Mais c'est l'édition de poche des Fleurs de 1948 qui va en donner une version complète, c'est-à-dire avec une partie parlée et les consignes qui l'accompagnent.

Quoiqu'il en soit, ce rite d'afond (sans doute connu avant 1935) n'a plus quitter le chansonnier bruxellois depuis qu'il y a été introduit. Ainsi, au début des années 1990, les soirs de Saint-Verhaegen, La Bécasse de la rue de Tabora voyait encore une tablée de vieux Poils grisonnants s'adonner aux délices de la "Pompe à merde". Nous donnons les paroles et les gestes de ce rituel de bière, tel que nous l'avons pratiqué avec eux.

Concrètement

Le premier couplet et ceux qui suivent l'afond collectif sont chantés sur l'air du "Plaisir des dieux". Pendant que l'assemblée entonne ces couplets, on remplit les verres de bière, quitte à ce qu'ils débordent.

Le président de séance peut faire exécuter trois afonds à toute l'assemblée (mais cela impose à l'échanson de servir très rapidement beaucoup de membres). Ou le président peut faire boire l'assemblée en trois temps : le Comité exécute le premier afond, l'aile gauche de la Corona le deuxième afond et enfin l'aile droite le troisième afond. Cette seconde façon de procéder laisse plus de temps aux néophytes pour observer la cérémonie et pour apprendre les bruits à faire. Cette version est aussi moins exigeante pour l'échanson).

Sur le site Chansons-Paillardes.net, vous pouvez entendre trois versions de la cérémonie : celle reprise sur le disque Bacchus (au format MP3), celle chantée sur le disque Plaisir des dieux (au format MP3 itou) et celle du vinyl Tonus (toujours au format MP3).


La pompe à merde

Entendez-vous, plac’ de la République
Quand les lampions commenc’nt à s’allumer,
Le bruit joyeux de notre mécanique ?
La pompe à merd’ se met à fonctionner.

Et puisqu’il faut que rien n’ se pe-e-erde
Dans la nature où tout est bon,
Amis, pressons, pressons la pompe à me-e-erde,
Le jour se lève à l’horizon.

Pompons la merde et pompons-la gaiement
En envoyant s’ fair’ foutr’ ceux qui n’ sont pas des frères.
Pompons la merde et pompons-la gaiement
En envoyant s’ fair’ foutr’ ceux qui n’ sont pas contents !

Ambiance. Parlé :
Le président : « Faites avancer la première voiture. »
(L’assemblée émet un hennissement de cheval.)
Le président : « Vérifiez les manomètres »
(L’assemblée martèle les verres avec des cuillères.)
Le président : « Renversez la vapeur ! »
(L’assemblée émet un sifflement.)
Le président : « Maintenant, vous allez me pomper ça, avec tout votre cœur. Un, deux, trois ! »
(A ce signal, chaque membre de l'assemblée vide son verre en afond.)


Soupe à l’oignon, bouillon démocratique,
Perdreaux truffés du faubourg Saint-Germain,
Vous serez tous, c’est une loi physique,
Bouffés un jour, chi-és le lendemain.

Et puisqu’il faut que rien n’ se pe-e-erde
Dans la nature où tout est bon,
Amis, pressons, pressons la pompe à me-e-erde,
Le jour se lève à l’horizon.

Pompons la merde et pompons-la gaiement
En envoyant s’ fair’ foutr’ ceux qui n’ sont pas des frères.
Pompons la merde et pompons-la gaiement
En envoyant s’ fair’ foutr’ ceux qui n’ sont pas contents !

Ambiance. Parlé :
Le président : « Faites avancer la deuxième voiture. »
(L’assemblée émet un hennissement de cheval.)
Le président : « Vérifiez les manomètres »
(L’assemblée martèle les verres avec des cuillères.)
Le président : « Renversez la vapeur ! »
(L’assemblée émet un sifflement.)
Le président : « Maintenant, vous allez me pomper ça, avec tout votre cœur. Un, deux, trois ! »
(A ce signal, chaque membre de l’assemblée vide son verre en afond.)


Fille de roi de ta beauté si fière,
Tu dois chier, ainsi Dieu l’a voulu,
Ton cul royal, comme un cul prolétaire
A la natur' doit payer son tribut.

Et puisqu’il faut que rien n’ se pe-e-erde
Dans la nature où tout est bon,
Amis, pressons, pressons la pompe à me-e-erde,
Le jour se lève à l’horizon.

Pompons la merde et pompons-la gaiement
En envoyant s’ fair’ foutr’ ceux qui n’ sont pas des frères.
Pompons la merde et pompons-la gaiement
En envoyant s’ fair’ foutr’ ceux qui n’ sont pas contents !

Ambiance. Parlé :
Le président : « Faites avancer la troisième et dernière voiture. »
(L’assemblée émet un hennissement de cheval.)
Le président : « Vérifiez les manomètres »
(L’assemblée martèle les verres avec des cuillères.)
Le président : « Renversez la vapeur ! »
(L’assemblée émet un sifflement.)
Le président : « Maintenant, vous allez me pomper ça, avec tout votre cœur. Un, deux, trois ! »
(A ce signal, chaque membre de l’assemblée vide son verre en afond.)

 

Première apparition de la Mère Gaspard

Le rite bibitif et le chant de "La Mère Gaspard" aurait été imprimé pour la première fois dans le Chansonnier des étudiants belges, publié par la Studentenverbindung Lovania, en 1901. Cette découverte a été faite par notre ami Benoît "Bacchus" P.nc.n.

Préface du Chansonnier des étudiants belges, 1901.
 


Peu après, on retrouve cet air dans le Recueil de chants de la Société générale bruxelloise des étudiants catholiques, imprimé en 1907-1908. Il y est d'ailleurs suivi de la même chanson à boire : "Videz !"


Documents transmis par Benoît "Bacchus" P.nc.n

"La Mère Gaspard" clôture encore les réunions de nombreuses sociétés estudiantines belges. Jacques Koot a décrit ce vieux cérémonial dans Io vivat ou les étudiants de l'Université, publié en 1983.

Les membres encore en forme s’avancent au milieu de la Corona, forment un cercle et chantent :
Il se fait tard et notre verre est vide.
Buvons, les amis, il n’en est pas question !
Tant pis, tant pis si les voisins stupides
N’aiment pas le bruit, les rires et les chansons.
Chaque membre heurte alors sa pinte contre celle de son voisin de gauche et chante :
Allons, la Mère Gaspard, encore un verre, encore un verre,
Allons, la Mère Gaspard encore un verre, il se fait tard
Si l’paternel, si l’paternel revient,
On lui dira qu’ son fils est toujours plein, plein, plein…

Celui qui choque son verre au mot "plein" le vide en afond puis il se retire. Lorsque la "victime" a vidé son verre, les membres recommencent à chanter "Allons, la mère Gaspard..." en choquant leurs verres. Les buveurs quittent donc le cercle l'un après l'autre, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un.

Le Diable-au-Corps

Cette chanson à boire n'a peut-être pas été écrite en l'honneur de la famille de Jules Gaspar, le patron du cabaret du "Diable-au-Corps". Néanmoins, les étudiants de l'ULB, fidèles clients du "Diable", s'approprièrent le couplet. Le Bruxelles Universitaire de mai 1928 note ainsi qu'à l'occasion des trente ans du Diable-au-Corps, des Poils et des Anciens chantent au patron "Encore un verre, le père Gaspard, encore un verre, encore un verre, il n'est pas tard."

Ecouter l'air

Sur le site du Bitu Magnifique, vous trouverez l'air de La Mère Gaspard au format Midi (en haut à droite). Et vous entendrez ici une interprétation (chantée) de La Mère Gaspard par André Verchuren ; mais le couplet débutant par "Allons..." y est tronqué.

Modifications

Les lecteurs attentifs auront remarqué que les paroles originelles ont été légèrement modifiées, en dépit du sens de la chanson : au fil des ans, "Il n'est pas tard" est devenu "Il se fait tard". Il est pourtant plus logique de continuer à boire lorsque l'heure n'est pas trop avancée. La bière ayant fait son œuvre, le sobre "bien" s'est - lui - mué en "plein".

jeudi 1 novembre 2012

Le paragraphe 11 et autres bêtes étranges

Le premier Biercomment, code de conduite et de savoir-boire, est publié à Tübingen en 1815. Il ne comporte que 6 paragraphes.

Le paragraphe 11 "Es wird immer fortgesoffen" (autrement dit, "on boit toujours trop") fait son apparition en 1853, dans le Neuen jenaischen Biercomment.

Au tournant des 19e-20e siècles, les étudiants dessinent le §11. sur des tonneaux et des cruches, sur des cartes postales...

Carte photo envoyée à Hohen Kirchen en 1916. 

Le §11. est le plus connu des symboles inventés par les Sociétés commentiques. Mais la carte ci-dessous en regroupe néanmoins quelques autres. Le chien, mascote de nombreuses corporations, représente évidemment l'amitié et le singe l'étudiant saoul, capable de quatre cents coups. Plat bon marché, le hareng symbolise, lui, la dèche noire où se trouve l'étudiant après avoir laissé sa dernière pièce au tavernier.

Le chat est un symbole nettement plus sympathique. En allemand comme en néerlandais, "kater" désigne à la fois le matou et la gueule de bois. Dans l'art estudiantin, on croise donc souvent l'affectueuse bestiole.

L'étudiant lui-même est ici représenté en Vollwichs, tenue d'apparat des Sociétés germaniques. Le pied sur le Codex, c'est-à-dire sur le Comment, il entonne le Gaudeamus igitur, l'hymne des corporations.

Carte envoyée à Bern en 1899
Sur la carte de la Société de Zofingue (ci-dessous), on retrouve le singe, le fameux §11. gravé sur une chope, un chansonnier, une pipe, le zirkel (le monogramme sociétaire) et une poule. Pourquoi diantre une cocotte ? Sauf erreur, il s'agit d'une représentation peu flatteuse des demoiselles.

Carte de la section zürichoise de la Société de Zofingue, envoyée en 1906.

La canne estudiantine en 1917

Sur cette photo de 1917 (prise vraisemblablement à Nivelles), deux étudiants posent avec leur penne et leur canne en jonc.



Symbole de la classe sociale à laquelle les étudiants appartiennent, la canne ne sert pas qu'à se promener sur les boulevards. C'est aussi un accessoire très utile lors de bagarres. En 1927, l'Association générale des étudiants de l'ULB conseille d'ailleurs clairement de se munir d'une canne pour se défendre lors des festivités de la Saint-Verhaegen.

La canne a sans doute disparu dans les années 1930. Cependant, Jean Dratz en représente encore dans les Fleurs du Mâle éditées en 1960 par le Cercle de Médecine. Probablement parce que Dratz dessine le folklore qu'il a connu dans l'entre-deux-guerres.


Dessin issu de la couverture du texte
de la revue Les trois Suzons de l'Eléph-ant droit 
(à prononcer avec l'accent liégeois)
donnée le 17 décembre 1920 au théâtre du Pavillon de Flore
par l'Association des étudiants en droit de Liège.

Carte de l'Helvetia, non postée. Vers 1900.
Carte colorisée à la main.

Carte marouflée, envoyée d'Antwerpen à Leuven en 1906.
A la sortie de la taverne (reconnaissable au sceau de Salomon des brasseurs).
Les singes anthropomorphes représentent traditionnellement des étudiants ivres.
Ils portent la casquette et le cerevis (appelé bierpet en Belgique),
le ruban ainsi que la veste à brandebourg des corporations.


Carte marouflée, envoyée d'Antwerpen à Leuven en 1906.
Rixe entre étudiants et bourgeois, à coups de canne.
La scène se passe en Allemagne.