mercredi 21 juin 2017

Hommages à Ferrer, de 1909 à 1939.

Francisco Ferrer (1859-1909), pédagogue anarchiste, fondateur de l’Ecole Moderne, rationaliste, égalitaire et mixte. En 1909, il est accusé, notamment par le clergé catholique, d'être l'instigateur d’émeutes contre l’envoi de troupes au Maroc. Condamné par un tribunal militaire lors d'un procès inique, il est fusillé le 13 octobre 1909. Ce qui provoque des protestations internationales.

Le jour de son exécution, des étudiants de l’ULB manifestent devant la résidence du nonce (ambassadeur du Vatican). Deux jours plus tard, l’Association générale s’insurge officiellement contre le meurtre du pédagogue.

Dans la foulée, à l'occasion de la Saint-Verhaegen de 1909, celle du 75e anniversaire de la fondation de l'ULB, l'Association générale des étudiants publie une affiche qui fait appel aux anticléricaux afin de dénoncer l'exécution de Ferrer, sans toutefois le nommer : "Au moment où le monde civilisé est soulevé d'une profonde indignation contre l'assassinat d'un propagandiste de nos idées, l'union est plus nécessaire que jamais et doit se traduire, dans une protestation émouvante et solennelle, contre les crimes du dogmatisme. [...] Le 21 novembre, tous nos camarades étudiants de Belgique, tous les groupements de libre pensée, toutes associations libérales, toutes les ligues ouvrières, toues les groupements socialistes, toutes les sociétés d'enseignement doivent défiler au pied de la statue de Verhaegen, en un unanime espoir vers le triomphe prochain des idées de liberté et de justice."


En 1910, le programme des festivités du 15e anniversaire de l'Association générale n'annonce pas d'hommage au pédagogue anarchiste à l'occasion de la Saint-V, ce qui ne signifie pas qu'il n'y en ait pas eu... (Echo des Etudiants, 19 novembre 1910)

En 1911, une statue est élevée en hommage à Ferrer, place du Samedi (dans le centre ville). Dès son érection, l’A.G. étudiante remet une gerbe en mémoire du libre penseur à l’occasion de la Saint-Verhaegen, à 13h30. L'étudiant en médecine Le Boulengé prononça une "vibrante allocution" contre la "réaction dont fut encore, en plein XXe siècle, victime Francisco Ferrer." (Echo des Etudiants, 27 novembre 1911)

Pendant la Première guerre, l’hommage des étudiants est suspendu ; il reprend officiellement en 1924 (avec l’autorisation de la Ville). Cent cinquante étudiant se rendent dans le centre de la ville, précédés de plusieurs drapeaux bleus et du drapeau rouge du "Groupe d'étude socialiste". (Bruxelles Universitaire, 13 décembre 1924) Arrivés place du Samedi, les étudiants encerclent le monument et Paul Vanderborght prononce un discours : "C'est la première fois depuis la guerre, que nous pouvons apporter ici le salut traditionnel des étudiants de l'ULB, que nous sommes autorisés à défiler calmement, pour exalter le défenseur de l'idée qui est la nôtre : le libre examen." Et il ajoute : "Assez de réaction et de dogmatisme. Ferrer a fait figure d'initiateur : je salue en lui l'Homme libre." Avant de conclure sous les applaudissements : "Merci, Camarades, d'avoir rendu à l'Université son sens de générosité et de liberté philosophique. Les drapeaux des libéraux démocrates et des socialistes, alliés à ceux de l'Université, attestent notre union dans la démocratie d'où sortira malgré tout l'idée victorieuse."

Si une manifestation d'hommage a à nouveau lieu en 1925, ce n'est ni le cas en 1926 ni en 1927, si l'on se fie aux programmes de la Saint-V publiés dans le Bruxelles Universitaire.

En 1928, le Cercle du Libre Examen est fondé ; ce sont dès lors les présidents de ce Cercle qui se chargent (avec d’autres) de saluer le combat de Ferrer. A cette époque, cet hommage résonne d’une façon particulière : partout en Europe, émergent populisme, nationalisme et fascisme.

A partir de cette date, l'hommage à Ferrer est une tradition bien ancrée. Lors de la Saint-V de 1934, celle du Centenaire de l'ULB, Louis Stranart, président du Cercle du Libre Examen, prend la parole : "Camarades ! Ferrer est mort pour des idées qui nous sont chères : les idées d'indépendances, de démocratie et de libre examen. Gardons impérissables le souvenir de celui qui, au milieu des ténèbres cléricales, a eu le courage de lutter pour le libre examen que nous considérons comme l'expression la plus haute de la civilisation morale ! " (Le Soir, 21 novembre 1934)

Trente ans après l'exécution de Francisco Ferrer, le souvenir du pédagogue est toujours bien vivant. Et ce d'autant plus que le contexte politique international est tendu. Néanmoins, les festivités de la Saint-Verhaegen se déroulent dans le calme : un discours est prononcé devant le monument Ferrer, puis le Semeur retentit.

Une du Bruxelles Universitaire, mars 1930.
 
Statue dédiée à Francisco Ferrer,
place du Samedi.
 
 
Saint-Verhaegen 1933-1934.
Discours au pied de la statue dédiée à Francisco Ferrer,
installée alors place du Samedi,

derrière l'église de la place Sainte-Catherine.

Ce document provient
du Service Archives, Patrimoine et Collections spéciales de l'ULB.
50 avenue Franklin Roosevelt à 1050 Bruxelles.

Saint-Verhaegen 1937.
Discours au pied de la statue dédiée à Francisco Ferrer,

alors installée place du Samedi.
En plus de la date, le recto de la photo

porte la mention "Librex - Geen Taal",
ce qui laisse supposer la présence des Cercles du Libre Examen
et de Geen Taal Geen Vrijheid.

 Ce document provient
du Service Archives, Patrimoine et Collections spéciales de l'ULB.
50 avenue Franklin Roosevelt à 1050 Bruxelles.
 
[Cet article résume le texte de Pierre-Frédéric Daled,L'Hommage à Ferrer : la naissance d'un "rite", à l'Université libre de Bruxelles (1909-1939),
in Francisco Ferrer, Cent ans après son exécution. Les avatars d'une image,
éd. La Pensée et les Hommes, 2010]

lundi 19 juin 2017

Maitrank et vadrouille à la campagne

Le Maitrank - cette noble "boisson de mai", vin blanc de Moselle où fermente l'aspérule odorante - salue le retour des beaux jours. Il n'en fallait guère plus pour que les sociétés étudiantes commentiques adoptent ce breuvage. On en trouve des traces vers 1900 dans les peintures de Georg Mülhberg, qui présente cette tradition comme bien établie donc... plus ancienne.
 
Carte postale.
Maibowle, par Georg Mülhberg, vers 1900.
Collection personnelle.
De nos jours, de la Société de Belles-Lettres de Neuchâtel à la Zähringia de Berne en passant par l'Helvetia de Lausanne, de Suisse en Allemagne en passant par l'Autriche, nombre d'étudiants consacrent chaque année une séance à la dégustation du Maitrank, aussi appelé Maibowle. En Belgique, c'est la Société du Grand Clysopompe qui porte cette tradition.

Parallèlement, à l'arrivée du printemps, les sociétés commentiques organisent souvent des vadrouilles à la campagne, en plein jour ou à la tombée de la nuit. Celles-ci sont parfois ponctuées de rasades de Maitrank.

Ces séances bucoliques et bibitives marquantes ont donné naissance à une riche iconographie. Nous n'en présenterons que quelques exemples.

Nous y joindrons l'évocation d'un Maitrank célébré avant-guerre à la campagne par la section neuchâtelloise de la Société de Zofingue. Ce tableau poétique, extrait d' "Où coula notre vie dans sa belle saison" (par Ernest Bauermeister et Jean-Paul Ehrbar, Société de Zofingue, Neuchâtel, 1944), évoque entre autres la préparation de l'élixir par les Füchse (les nouveaux) et les traditionnels duels d'afonds où les champions doivent faire suivre leur dernière goutte de vin du cri "Maitrank !"


Carte postale de la Société de Zofingue Neuchâtel, Maitrank de 1912.
Collection personnelle.

Carte postale. Maintrank de la Société Industria, 1945.
Collection personnelle.

Carte postale, par Georg Mülhberg, vers 1900.
Collection personnelle.

Vadrouille aux lampions.
Carte postale de la Section lausannoise de Stella.
Envoyée de Lausanne à Berne, en 1922.
Collection personnelle.

Soirée sous les lampions et... sous le tonneau.
Carte postale de Stella, non datée.
Collection personnelle.

Sommernachtkneipe, séance nocture d'été,
Société Corona de Saint-Gall.
Carte postale de juillet 1920.
Collection personnelle.


 
... immobile, jetant le feu aux vitres des maisons. Tout d'un coup, il s'enfonça et la montagne se referma sur lui, comme une paupière. Là-bas, vers le Vully, la brume rose montait vers le ciel, chassée par la nuit qui venait.

Scène de duels bibitifs au Maitrank.

Textes et gravure in "Où coula notre vie dans sa belle saison"

(par Ernest Bauermeister et Jean-Paul Ehrbar, Société de Zofingue, Neuchâtel, 1944).
Collection personnelle.