mercredi 26 septembre 2012

Les origines de la Saint-Verhaegen

En 1924, on découvre à Glozel, en France, des poteries, des pierres taillées et des tablettes gravées de signes ressemblant à l'alphabet phénicien. Très vite, une controverse naît entre les archéologues. Les objets datent-ils du Paléolithique ou du Néolithique ? S'agit-il de faux ? La polémique ne s'éteindra finalement qu'en 1995.

Clebs Phétide ironise sur cet épisode dans le Bruxelles Universitaire de décembre 1927. Et fait remonter les réjouissances de la Saint-Verhaegen à la préhistoire.

Cette planche contient quelques clins d'oeil : un prof exhume la première buse ; un char est tiré non par un cheval mais par un animal préhistorique ; la "Caverne du Cerf" est un calembour sur le nom de la "Taverne Le Cerf" (sise à la Grand-Place) et "Tout mon plaisir, à moi, c'est la caverne" reprend - avec le même jeu de mot - un vers de la chanson "L'Ancien étudiant"...

Clebs Phétide rédigera le chapitre 2 des "Origines de la Saint-Verhaegen", en janvier 1928. Il y abordera les festivités du 20 novembre à l'époque de la Rome antique.







La langue verte des Crocodiles

En l'état actuel des choses, nous ignorons si les Crocodiles employaient un argot particulier lors de leurs séances. Des termes spécifiques apparaissent cependant ici et là.

Dans le premier numéro du Crocodile, le président de la Société des Crocodiles est appelé "grand Oriflan". Le "ministre de l'Intérieur" (le responsable de la discipline) porte le titre de "grand Alligator" et le "ministre des finances" celui de "grand Caïman".

Et la ville de Bruxelles y est appelée "Crocodilopolis".

Toujours dans ce numéro, on découvre que le terme "semaine" est remplacé par celui d'"olympiade". Le journal naît en effet le "premier jour de la 7e olympiade crocodilienne", c'est-à-dire le mardi 1er février 1853. Ce qui fait remonter la naissance des Crocodiles en décembre 1852, ainsi que l'écrit Fritz Rotiers dans ses souvenirs.

Dans la religion juive, le premier jour de la semaine est le dimanche. Et pour les chrétiens, c'est le lundi. Or le "premier jour de la 7e olympiade" tombe un mardi, il est donc probable que les Crocodiles faisaient débuter leur semaine le jour dédié à Mars...

Mais les Crocodiles allèrent plus loin et renommèrent également tous les mois. Dans l'"Amanach Crocodilien dédié aux étudiants belges", publié en 1856, on découvre un calendrier estudiantin basé sur le calendrier républicain de 1792 : "Crocodilidor, Carnavalaire, Harengsaurose, Poissonidor, Hannetonnéal, Riflardaire, Cancanidor, Busose, Kermesséal, Cornéal, Guindaillaire, Nezrongeose."

C'est sans doute la première fois qu'une parodie du calendrier révolutionnaire français fait son apparition dans le folklore étudiant bruxellois. On le retrouvera par la suite chez les Paradisiaques, les Sauriens, les Macchabées et bien d’autres cercles intimes. Les Macchas remarqueront d'ailleurs l'influence que le calendrier crocodilien a exercé sur le leur.
"Carnavalaire" est le mois des fêtes travesties et des beuveries. Puis vient "Harengsaurose" où le Crocodile se fait anachorète ; ce mois rappelle étrangement le folklore étudiant germanique où les harengs symbolisent également la dèche.

Carte envoyée à Bern le 30 août 1899.
Le hareng, dans le coin supérieur droit de la carte,
symbolise la dèche et l'argent qui file
(ainsi que le portefeuille qui se vide le souligne).
Nous reviendrons plus tard sur les autres symboles.

On note encore "Poissonnidor", époque de l’envoi des notes (par exemple celle du tailleur) et donc des farces qui consistent à ne pas les payer. Avec la belle saison arrive "Cancanidor", mois de la danse (dont le fameux cancan) et des amusements débridés, qui annonce "Busose", aux alentours d’août, où le Crocodile après avoir dansé tout l’été "se retrouve fort dépourvu – de science – quand l’examen est venu". (Pierre Van Den Dungen, op.cit.)

dimanche 23 septembre 2012

Premières traces du Comment en Belgique ? Des Crocodiles et des Salamandres

Le 17 janvier 1863, l'Illustrierte Zeitung publie une gravure de Léo von Elliot représentant l’estaminet "Le Trou", situé rue des Sols, en face de l'université. On y découvre des étudiants en casquette, buvant et dansant. On y voit aussi les fresques murales réalisées par les Crocodiles, dont le célèbre Félicien Rops. Il s'agit probablement de l'unique trace de ces peintures. (Lisez : "Un temple et dix commandements")

Mais la gravure telle qu'imprimée dans l'Illustrierte Zeitung (et communiquée à En Bordeaux et Bleu par un libraire allemand) est exceptionnelle pour les historiens du folklore estudiantin car l'article consacré au "Trou", imprimé au verso, évoque les Crocodiles (qui s'y réunissaient) ainsi que leur journal... et il nous livre un petit scoop...

L’auteur (anonyme) de l'article désigne les Crocodiles par le terme "Corps". Et il affirme qu'ils s’étaient inspiré des "Kneipen" des étudiants allemands pour établir les rituels de leurs réunions : les Crocodiles auraient ainsi possédé un "Comment" et auraient "frotter des Salamandres". Tous ces termes sont très marqués : ils renvoient au fonctionnement et aux rituels des sociétés germaniques d'étudiants, dont nous avons déjà parlé.

Sous-titre : si l'on croit le journaliste, les Crocodiles étaient structurés sur le modèle des corporations étudiantes germaniques et tenaient leurs séances selon le rituel en latin propre à ces sociétés. Quant à leurs à-fonds, ils les auraient exécutés suivant la cérémonie de la Salamandre.

De "grands" officiers 

Notons toutefois que les officiers des Crocodiles ne portent pas les titres de Senior, Censor et Quaestor habituellement employés dans les corporations germaniques pour désigner respectivement le président, le responsable de la discipline et le trésorier.

Le président de la Société des Crocodiles porte en effet le titre folklorique de "grand Oriflan" et le "ministre de l’Intérieur" celui de "grand Alligator". Quant au "ministre des finances", il est appelé "grand Caïman".(in Le Crocodile du 1er février 1853) 

Premières traces du Comment en Belgique ? 

Si les Crocodiles ont bel et bien tenu des Kneipen basées sur un Comment, nous disposons là des premières traces connues de ce type de rites en Belgique.

Les usages de la Kneipe, du Comment et de la Salamandre ont pu arriver à Bruxelles dans les bagages des étudiants suisses, allemands ou luxembourgeois. Or on sait que les étudiants de l’époque, issus pour la plupart de la bourgeoisie, voyageaient beaucoup. Et que des étudiants suisses ont fui la guerre du Sonderbund, qui éclata en 1847 entre les citoyens helvétiques pour des raisons religieuses et politiques. Et L.S. Hymans, J.-B. Rousseau, les auteurs du "Diable à Bruxelles" (publié en 1853) confirment également qu'en 1848 des étudiants allemands étaient présents à Bruxelles aux réunions de l'une des deux premières Sociétés de l'ULB, qui se tenaient à l'hôtel de Barcelone.

Si la présence du Comment en Belgique vers 1850 est confirmée, on tiendrait là un deuxième petit scoop... Car il est généralement admis que le Comment a été introduit en Belgique en 1872, à l’université de Louvain, par les étudiants suisses, catholiques et germanophones, de l’"Helvetia Lovaniensis". Ce groupement – qui exista trois ans – était la section louvaniste de la "Société des étudiants suisses" ou "Schweizerischer Studentenverein". (Voyez le site de la Sarinia www.sarinia.ch) 

Validité des infos 

Quelle est la valeur des informations livrées par l'Illustrierte Zeitung ?

Le journaliste évoque la présence de réfugiés politiques - surtout français - aux réunions des Crocodiles. Ce qui est confirmé par l'historien Pierre Van Den Dungen. (Pierre Van Den Dungen dans "L'Université libre au temps des Crocodiles" in Rops - De Coster. Une jeunesse à l'université libre de Bruxelles, les Cahiers du GRAM, 1996). Puisque cette information est exacte, il est possible que les autres - sur la tenue de Kneipen et l'emploi du Comment par les Crocodiles - le soient également.

Néanmoins, le journaliste écrit également qu'une Société des Etudiants (dotée de son propre local) a vu le jour peu après la disparition des Crocodiles et de leur journal satirique. Ce que nous devons encore vérifier aux Archives de l'ULB... Si nos recherches confirmaient cette deuxième information, les doutes sur l'emploi de rites estudiantins germaniques par les Crocodiles seraient pratiquement dissipés...

Illustrierte Zeitung du 17 janvier 1863, p.54.

mercredi 12 septembre 2012

Un temple et dix commandements

Les Crocodiles n'apparurent pas dans l'Egypte antique comme certains l'ont cru mais rue des Sols, à l'ULB, fin 1852 - début 1853.

Comme l'écrit Pierre Van Den Dungen, "La Société des Crocodiles se compose essentiellement d’étudiants qu’elle recrute dans toutes les facultés de l’Université libre et qu’on ne rencontre dans aucune". Les Crocodiles fréquentent en effet surtout un estaminet de la rue des Sols situé comme son nom l’indique, "A la vue de l’Université", c’est-à-dire en face de l'Alma Mater. L’endroit a la cote auprès des étudiants qui le rebaptisent "Le Trou" en raison de l’atmosphère de tripot qui y règne. A l’époque, les étudiants y croisent de nombreux proscrits. (Pierre Van Den Dungen dans "L’Université libre au temps des Crocodiles" in Rops – De Coster. Une jeunesse à l’université libre de Bruxelles, les Cahiers du GRAM,  1996). 

Le temple

La joyeuse bande, qui comptera tout au plus une vingtaine de membres, a réellement investi l’estaminet de la rue des Sols : elle en a même repeint les murs, avec notamment la complicité de Félicien Rops. "Ainsi, en 1855, assiste-t-on au vernissage des nouvelles peintures murales du Trou qui ont pour thème l’étudiant et pour modèle Brididi (Alphonse Noiset). Sur un premier panneau, il vole de belle en belle cultivant l’amour de la pipe ; plus loin il apparaît grave dans son sévère costume d’avocat. Plus loin encore, la vieillesse a ridé ses traits et, père à son tour, il lit la très conservatrice Emancipation afin de faciliter son sommeil. Pour ne mécontenter personne, chaque Faculté possède son propre panneau", relate Pierre Van Den Dungen.

Les dix commandements 

On l'a compris, la Société des Crocodiles ne vit que pour les chahuts et la guindaille. Elle demande de sucroît à ses membres de se plier à dix commandements qui ne doivent rien à la Bible (Ignace de Loyola, le fondateur des Jésuites, y est d'ailleurs moqué) : 

1. Ton inscription tu prendras 
mais pour la frime seulement
2. A tous les cours tu te rendras 
au moins trois ou quatre fois l’an
3. A ton recteur obéiras 
si tu le veux absolument 
4. Le professeur applaudiras 
sifflant Loyola vertement 
5. Pour le faro professeras 
de l’estime profondément 
6. Aux crocodiles danseras 
pinçant un modeste cancan 
7. Souvent à ton père écriras 
mais pour des clous uniquement 
8. Ta maîtresse tu garderas 
quinze jours régulièrement 
9. Chaque soir tu te coucheras 
passé minuit, jamais avant 
10. Ainsi docteur tu deviendras 
un jour indubitablement. 
("Les 10 commandements de l’étudiant de Bruxelles, dédiés aux Crocodiles par un vieux phoque", in Le Crocodile, n°3, 27 février 1853.) 

"Le décor est planté : aux leçons magistrales, le Crocodile préfère la vadrouille en ville et les discussions d’estaminet. Il professe un anticléricalisme virulent ; aime les bals aux cancans endiablés. Le Crocodile vit, donc dépense. Ainsi se sent-il parfois obligé d'envoyer de touchantes lettres aux parents", souligne Van Den Dungen. Plus important, le Crocodile fait sienne la devise de la République française "Liberté-Egalité- Fraternité". Même s’il l’interprète à sa façon... En Crocodilie, le bal représente la Liberté, l’émulation bohème l’Egalité et les banquets du "Trou" simplement confectionnés prêtent leurs couleurs à la Fraternité. (Pierre Van Den Dungen, op.cit.) 

Le "Trou" en gravure 

C'est Leo von Elliot qui nous ouvre la porte du temple des Crocodiles. Son dessin du "Trou", publié dans l'"Illustrierte Zeitung" en 1863, laisse entrevoir une atmosphère de cour de miracles...


Le café étudiant "Le Trou" à Bruxelles.
Gravure d'après un dessin original de Leo von Elliot,
dans l'Illustrierte Zeitung du 17 janvier 1863.

L'estaminet grouille d'étudiants. Dans tous les coins, on voit leurs casquettes à visière courte (bien différente de celles d'aujourd'hui et sans doute empruntée aux uniformes militaires). Au milieu de la pièce, quelques-uns lèvent la jambe gauche puis la droite, au son du violon et du violoncelle : ils dansent le cancan. Certains boivent au bar, d'autres cuvent leur bière tête ou pieds sur la table. A gauche, on joue au jaquet. A droite, on couronne une jeune fille d'une soupière. Bref, le joyeux chaos règne en maître. Tandis que, là-bas, derrière les murs de l'Université qu'on distingue à travers la vitre, un professeur donne son cours à des étudiants sans doute moins nombreux. 

Dans "Le Trou".
Des étudiants dansent le cancan.
Derrière la vitre, on devine l'Université.
Détail de l''Illustrierte Zeitung du 17 janvier 1863.

Dans "Le Trou".
Au mur, des tableaux représentant
l'été et le printemps.
On devine les ovales de deux autres tableaux à gauche.
Détail de l''Illustrierte Zeitung du 17 janvier 1863.

Près du comptoir du "Trou".
Détail de l''Illustrierte Zeitung du 17 janvier 1863.

Par sa précision, von Elliot a sauvé de l'oubli les peintures murales du "Trou", réalisées par Félicien Rops et d'autres Crocodiles. On sait grâce à lui comment se présentaient le tableau saluant la faculté de Droit et celui honorant la faculté de... boire. On découvre les grandes lignes des fresques consacrées à l'été et au printemps, où le Crocodile Brididi - casquette sur la tête - convole au bras d'une belle.

On découvre aussi, amusé, que les armoiries des Crocodiles (une tête de saurien encadrée par deux pipes) et leurs dix commandements (présentés comme une Bible ouverte) trônaient au milieu de l'estaminet.


Dans "Le Trou".
Détail de l''Illustrierte Zeitung du 17 janvier 1863.
Tableaux représentant
le printemps
(avec le Crocodile Alphonse Noiset et sa belle)
et la faculé de boire
(avec deux étudiants à la porte d'un estaminet)

"Eh bien, dansez maintenant..."

Danser, l'un des dix commandements crocodiliens, occupe une place essentielle dans la vie de la Société. Les bals qu’elle organise ont généralement lieu au Grand-Sablon. Les soirées dansantes, toujours costumées, se tiennent en hiver et parfois au printemps. (Pierre Van Den Dungen, op.cit.)

Une autre gravure, également signée von Elliot, laisse imaginer l'ambiance de mardi gras qui devait régner dans les bals costumés des Crocodiles. (Lisez : "Un bal des Crocodiles. Une gravure rarissime")


Bal masqué d'étudiants, à Bruxelles.
Dessin réalisé d'après une gravure de Leo von Elliot, vers mars 1859.
Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Dans son numéro 2, daté du 13 février 1853, Le Crocodile décrit cette activité vitale pour les membres de la Société :
"§3 Le Crocodile au bal
Où il y a de la gêne,
Il n’y pas de plaisir.
Le Crocodile né sous une étoile riante à horreur de la contrainte, il professe un souverain mépris pour l’habit noir, la cravate blanche et les gants beurre frais, il préfère mille fois la pipe au cigare ; la casquette a pour lui des attraits, le chapeau n’en a pas ; enfin le sans-gêne est passé chez lui à l’état d’habitude, et la liberté est sa grande passion.
Ainsi, vous rencontrez rarement un Crocodile au milieu des raouts aristocratiques ou bourgeois, car dans ces lieux, il faut pincer la fine conversation ; le naturel en est exclu. Là règne souvent un être insupportable connu sous le nom de fat ; enfin si quelque velléité de bonne humeur se communique à vos jarrets, vous êtes arrêté soudain par une déesse sévère appelée convenance. Non, ce que le Crocodile adore, c’est le bal hanté par la grisette au pied léger, à l’œil effronté, au sourire provocateur, aux propos piquants, c’est le bal où l’on danse ad libitum, c’est le sanctuaire du cancan, la réunion des bons enfants, des drilles sans façon, c’est l’orchestre aux quadrilles entraînants, et la scottisch ravissante, et puis, pendant le carnaval, ce sont des costumes impossibles et des combats en champ-clos, ou comme au temps des scholastiques, la victoire reste au meilleur blagueur."

dimanche 9 septembre 2012

Portrait du redoutable Crocodile, victime de la Buse

En 1852, quatre ans après la disparition des Adelphes, apparaît l'espèce la plus redoutable du zoo universitaire : la Société des Crocodiles. Ces bestioles ont un humour féroce, une faim et - pis - une soif énhaurmes...

Le 1er février 1853, dans son premier numéro, Le Crocodile - journal satirique de la Société - dresse un portrait haut en couleurs d'un Actif :
"Esquisse physiologique du Crocodile
D’après Buffon
Cet animal est très méchant
Quand on l’attaque il se défend.
Le trait le plus saillant de l’organisation du Crocodile, c’est la facilité qu’il possède de boire, parler, manger, respirer, fumer et valser, le tout en même temps. Il ne faut donc pas s’étonner si le Crocodile a une bouche large, élargie qu’elle est par l’usage continuel de la pipe, de la blague et de la guindaille.
La guindaille surtout.
Le Crocodile habite de préférence les régions situées entre la Bohème, la Cocagne et la Basoche, ainsi qu’au bord d’une île que les anciens appellent Cythère.
Toutefois, comme le Crocodile a l’instinct des voyages et de la colonisation, il n’est pas rare d’en rencontrer à Bruxelles, Jodoigne et à Tombouctou, voire même à Namur. […]
En Belgique, sur cette vieille terre de la liberté et de la contrefaçon, ils ont sucé les meilleurs principes, les Crocodiles sont devenus des soldats avancés du progrès, des libres penseurs, enfin ils fréquentent l’Université libre !!"
 
Le Dictionnaire crocodilien (destiné à rectifier celui de l’Académie, à rétablir la véritable signification des mots, à donner sur tout des notions neuves et profondes et à former ainsi l’esprit et le cœur qui auront patience de le lire. Dédié aux étudiants belges) est publié en 1857. Il complète le tableau par une touche d'humour :
"Crocodile : animal amphibie, c’est-à-dire vivant également bien dans l’air et dans le faro.
Non moins carnivore que le crocodile du Nil, le crocodile de Bruxelles présente cette particularité qu’il n’est pas ovipare.
Ces deux espèces de crocodiles se distinguent encore par ce fait que, si les larmes de l’un sont devenues proverbiales, le rire de l’autre n’est pas moins célèbre."
 
Le blason du Crocodile
 
Les traits du Crocodile sont tout entiers repris dans le frontispice dessiné par Félicien Rops pour Le Crocodile du 7 août 1853.
Côté rédaction : deux Crocodiles porteurs de pipes colossales présentent le blason de leur Société ; l'un tient une plume et l'autre un stylet.
Côté estaminet : deux autres Crocos s'offrent un gueuleton au pied du blason, sous les auspices d'une marotte, d'une bouteille de vin, d'une cruche de bière, d'un pot de genièvre, de feuille de vignes ainsi que de couverts, d'une pipe et d'un bâton à miel.
Et côté bal : au coeur du blason, des Crocodiles guindaillent sous un fût de faro, tandis que l'argent s'envole, que la montre en argent est "mise au clou" pour éponger quelques dettes et que la Buse s'envole avec le diplôme...
 
S'il s'agit là de la plus ancienne représentation de la Buse que nous connaissions, l'usage du mot dans le cadre universitaire est sans doute plus ancien. Depuis le 16ème siècle au moins, on traite un faible d'esprit de buse. Par glissement sémantique, le mot a désigné l'échec à un examen. On se félicite donc que les Crocodiles - nos glorieux ancêtres - n'aient pas été les premières victimes du rapace idiot qui décime les amphithéâtres...
 
Par un calembour affreux, la Buse des auditoires (qui a déjà la cervelle fragile) se voit ici affligée d'un corps en forme de tuyau. Les mofflés - et Félicien Rops - diront que ce n'est que justice.
 
Lithographie du Crocodile du 7 août 1853.
 

mercredi 5 septembre 2012

Ni ivrognes ni manchaballes : vrais Poils !

Cet appel aux Bleus a été publié dans le Bruxelles Universitaire d'octobre 1927. Il s'agit là - à notre connaissance - du premier du genre.

A l'image de l'égalitaire "Camarades" qui ouvre le texte, le ton est chaleureux et enjoué. On est loin des plates invectives que les Bleus entendent trop souvent aujourd'hui.

Mieux : le B.U. rappelle que les Bleus n'ont pas à choisir entre se muer en de studieux "manchaballes" ou devenir des ivrognes ignares. Les vrais Poils sont gais et frondeurs ; ils portent la penne, fréquentent leur Cercle facultaire, sifflent des bières mais ne se cuitent pas chaque soir. Et surtout... ils étudient.






Bruxelles Universitaire d'octobre 1927.Ce document provient
du Service Archives, Patrimoine et Collections spéciales de l'ULB.

50 avenue Franklin Roosevelt à 1050 Bruxelles.

mardi 4 septembre 2012

Sur un air d'"Il faut boire" ou...

"Il faut boire" est un des grands classiques des guindailles à l'Université de Liège et à celle de Bruxelles. René Bidus l'a signé et publié en 1911 dans ses "Péchés de jeunesse". Comme on le sait, la chanson s'ouvre par le joyeux couplet : "Quand au monde on est venu / Braillant, suintant et tout nu / Une voix dit, péremptoire : / Il faut boire / Boire et toujours boire." (Lisez : "Chansons et poème de René Bidus")

Mais X.v..r H.b..t, animateur du site de la Chorale de l'ULB, nous signale avoir retrouvé le texte sous un titre identique dans le premier tome de l'"Album du gai chanteur", paru en 1859. La chanson y est attribuée à Nicolas Brazier (1783-1838).


La composition de Nicolas Brazier figure dans l'"Album" avec l'air de "Ma Tante Urlurette", tandis que celle de Bidus est reprise avec le rythme de "Turlurette" tant dans les "Péchés de jeunesse" que dans les "Fleurs du Mâle" de 1922.

C'est Brazier qui remporte le point :  l'air a été en effet employé dans "Ma Tante Urlurette ou Le Chant du Coq", une folie-vaudeville de Désaugiers et Francis présentée pour la première fois en... 1806 à Paris. Brazier nomme d'ailleurs Désaugiers dans le premier couplet de sa chanson.

Cependant, le titre du vaudeville est un épouvantable jeu de mot sur "Ma tanturlurette", un air mentionné par Désaugiers et Francis pour chanter "Ce n'est Suzon ni Lison / Qui me trouble la raison / Amis, c'est la gentillette / Urlurette / Urlurette / Ma tante Urlurette." Cet air était manifestement connu du grand public : il est donc encore plus ancien que la pièce de théâtre.

Comme le conclut X.v..r H.b..t, il semble que Bidus se soit borné à retoucher les paroles d'une chanson assez ancienne...

Pour en savoir plus sur le rythme d'"Il faut boire", consultez l'article qui lui est consacré sur le site de la Chorale.

lundi 3 septembre 2012

"Mane, Techel, Pharès"

Cette caricature de Clebs Fétide a été publiée en Une du Bruxelles Universitaire de décembre 1927. Il s'agit probablement du dessin de l'affiche annonçant la Saint-Verhaegen 1927, affiche qui fut enlevée sur ordre des autorités académiques parce qu'elles la jugeaient grivoise. (Lisez le compte-rendu de la Saint-Vé 1927)

La scène contient pas mal de détails. A minuit (comme l'indique l'horloge), des Poils s'enivrent et festoient avec des Plumes. A droite, un étudiant verse de la bière sur la tête d'un autre, sans doute celle d'un Bleu en train de se faire baptiser.

Au fond de la pièce, un esprit couché sur un nuage écrit "Mane, Thecel..." sur le mur. Clebs Fétide fait ici un clin d'oeil à la Bible et à l'un des plus vieux graffiti de l'histoire. D'après le Livre de Daniel, Balthazar, le roi de Babylone, se livre à une orgie avec ses courtisans et boit dans les vases d'or volés jadis au Temple de Jérusalem. Le sacrilège à peine commis, une main mystérieuse trace sur la muraille la fameuse sentence "Mane, Thecel, Phares", soit "compté, pesé, divisé". Ce que le prophète Daniel traduit ainsi au monarque épouvanté : "Les jours de ton règne sont comptés. Tu as été pesé et trouvé trop léger. Ton royaume sera partagé." La nuit-même, Balthazar est tué. Et ses terres sont réparties entre les Mèdes et les Perses.

Ce qui attend les guindailleurs dont le savoir a été jugé trop léger à l'approche de l'examen, ce n'est pas la mort mais la buse que l'esprit tient en main...


Une du Bruxelles Universitaire de décembre 1927.
Ce document provient
du Service Archives, Patrimoine et Collections spéciales de l'ULB.

50 avenue Franklin Roosevelt à 1050 Bruxelles.

Au centre du dessin, un Poil asperge une des jeunes filles avec un siphon à eau de Seltz (une eau gazeuse mise sous pression). A la même époque, les étudiants français s'adonnaient également à ce petit jeu, comme on le voit sur les photos du monôme de 1910 ci-dessous.

Etudiants en blouse et calots, à Paris,
devant la statue de Claude Bernard, 1910.
Jeux avec les siphons.

Etudiants en blouse et calots, à Paris,
à la sortie de l'Orangerie, 1910.
Monôme avec les siphons.

samedi 1 septembre 2012

Chansons et poèmes de René Bidus

En 1911, René Bidus, ancien étudiant liégeois, publie ses "Péchés de jeunesse. Chansons et poëmes de la Vie d'Etudiant". Le recueil est illustré de dessins de l'auteur, de Chaudlong (comme signe avec autodérision Georges de Froidcourt) et de Jacques Ochs, célèbre caricaturiste (1883-1971) qui travailla notamment pour l'hebdomadaire "Pourquoi Pas ?"

Quelques années plus tard, en 1922, le Cercle des Sciences édite les premières "Fleurs du Mâle". Des 41 chansons qui y sont colligées, pas moins de six sont dûes à René Bidus. C'est dire l'importance que l'ancien étudiant de Liège avait pour les concepteurs des "Fleurs" et en particulier pour Vanderborght.

Ainsi, le Prologue des "Fleurs du Mâle" adresse "Vite, un grand merci à Vanderborght, à Bidus et aux autres chantres de la muse de Murger". Et, s'il signe 10 chansons des "Fleurs" (notamment sous le pseudonyme P.Loteur), le grand Paul Vanderborght n'en emprunte pas moins un couplet à Bidus pour écrire "Vous êtes si jolie".

Le chansonnier bruxellois reprend en fait les meilleurs textes de René Bidus :  "Le Rondeau des Noceurs", "La Ronde des Carabins""J'aime mieux ma mie", "Divagations sentimentales d'un vieux bourgeois" ainsi qu'"Il faut boire" (qui fait toujours partie des classiques de la guindaille ulbiste) et que "Le Testament d'un Etudiant" (très inspiré des poèmes de François Villon).

Le recueil de textes de Bidus s'achève par un "Fin du 1er cycle". Mais l'auteur ne nous a pas livré le second... ni beaucoup d'informations sur sa vie post-universitaire. Michel Péters, Ancien de Liège, nous a gentiment signalé que Bidus, René-Pierre-Hyppolite Aquarius de son vrai nom, fut étudiant en sciences commerciales, sous-lieutenant du 14ème de Ligne pendant la guerre 1914-1918 et ingénieur commercial après l'Armistice.

Voici une sélection de ses textes.













"Cadeau d'amante"
Air : Envoi de Fleurs (P. Delmet)




"La jolie étudiante"
Air : Vous êtes si jolie (P. Delmet)










"Il faut boire"
Air : Turlurette





 "Rondeau des Noceurs"
Musique de Néné





"A l'Amigo"
Air : "A Biribi" (A. Bruant)

L'"amigo", terme d'origine espagnol, désigne avec ironie la cellule d'un commissariat.




 "Testament d'un étudiant"
Musique de Néné

Ce texte renoue avec le "Grand codicile et Testament" de François Villon : au long de sa vie de bohème, l'étudiant n'a accumulé que des dettes et des amourettes. Il lègue les symboles de l'étudiant d'alors : sa casquette, son gourdin et sa pipe. Ses amis le saluent en faisant "ribote".

Le "grand Nicolas", le "chic type" qui reçoit la casquette (la future "penne"), est bien entendu le saint patron des étudiants liégeois.

Quant au "gourdin", il s'agit de la canne que les étudiants employaient pour marcher et se défendre. Mais, ici, l'allusion est transparente si l'on sait qu'il est donné en héritage à "Popol, le carabin".







Ronde des Carabins
Musique de René Bidus









"Je sais que j'ai tort !"
Air : Sérénade à Lison (Botrel)


Le lecteur comprendra aisément qu'une "prune" désigne une cuite.