mercredi 23 mai 2012

Aux origines des sociétés d'étudiants

Les étudiants français

A Paris et Bologne, les deux villes universitaires les plus célèbres au Moyen Age, les étudiants "avaient l’habitude de se réunir au sein d’associations regroupant des gens originaires de la même région, les nationes. Ces nationes empruntèrent nombre de rites aux corporations qui fleurissaient un peu partout au Moyen Age. Comme pour tout groupement fermé, le nouveau venu était soumis à un certain nombre d’épreuves (sauf à Bologne) qu’il devait subir avant d’entrer dans la nation.", explique l'historien Olivier Meuwly dans son excellent ouvrage sur les sociétés étudiantes de Lausanne. "Ces associations avaient pour but essentiel d’offrir un cadre d’accueil chaleureux au nouveau venu, tiré de son coin de terre natal. Elles deviendront un moyen de lui venir en aide et de lui permettre de s’adapter à un milieu tout à fait nouveau pour lui." (Olivier Meuwly, Histoire des sociétés d’étudiants de Lausanne, Université de Lausanne, 1987, p.13.)

Les étudiants allemands

Au 16ème siècle, les universités allemandes virent se créer des variantes des nations. "Regroupant également des étudiants provenant de la même contrée, elles prirent le nom de Landsmannschaften. Là aussi elles s’inspirèrent des corporations, puisqu’elles adoptèrent, comme celles-ci, des signes distinctifs, rubans, locaux et règlements." Des Comment (qu’on peut définir comme le fait de savoir comment se comporter et... boire) codifièrent leurs usages. (Olivier Meuwly, op.cit., pp.13-14)

Les Landsmannschaften étaient dirigées par un senior (l’étudiant le plus âgé), secondé par un consenior ou par un professeur. Ces sociétés eurent à cœur de cultiver le vocabulaire estudiantin. On y employait par exemple les termes de "fux" et de "bursch" en rapport avec le nombre de semestres et sans que cela ait de prime abord une connotation hiérarchique. Ces sociétés avaient également un penchant prononcé pour les chants d’étudiants. (Voir le très complet Dossier de formation romand publié par la Sarinia, p.9. www.sarinia.ch)

Les Landsmannschaften furent interdites en 1654 principalement en raison des nombreux duels qui les opposaient. Elles ne disparurent pas mais perdirent en influence. (Dossier de la Sarinia, p.9) De plus, elles subirent des changements notables sous l’influence conjuguée des idées libérales issues de l’Aufklärung (les Lumières) et de la franc-maçonnerie.

Parallèlement au renouveau des Landsmannschaften, apparurent les ordres estudiantins, qui s’inspiraient des idéaux égalitaires et des habitudes des loges maçonniques. Ces ordres influenceront les rites des Landsmannschaften puis "se détacheront du monde estudiantin et finiront, vers 1815, par disparaître complètement." (Olivier Meuwly, op.cit., p.14)

Olivier Meuwly estime que la fusion entre les principes des Landsmannschaften et ceux des ordres estudiantins a donné naissance à la société étudiante moderne. (Olivier Meuwly, op.cit., p.14)

"Dès 1810 environ, ces Landsmannschaften, qui faisaient respecter de façon tyrannique le Comment sur les universités et qui y exerçaient une véritable hégémonie, prirent progressivement les noms Kränzchen puis de Corps."  Et le critère d’admission de l'origine géographique disparut au profit de la personnalité du candidat. (Olivier Meuwly, op.cit., p.14)

Les Corps se considéraient comme les détenteurs des traditions estudiantines et ils contribuèrent à en fixer les coutumes. Ils mirent par écrit et complétèrent l’ancien Comment des Landsmannschaften. Ils reprirent le système de la société à vie (Lebensverbindung) et de nombreux rites et signes propres aux ordres estudiantins tels que la devise, le zirkel (c'est-à-dire le monogramme de la société), les abréviations X, XX et XXX pour désigner le président, le vice-président et le secrétaire. (Dossier de la Sarinia, p.10.)

Ces corps tinrent des Kneipen, c'est-à-dire des réunions se déroulant selon des rites et avec des formules spécifiques en latin. Pour avoir une idée de la manière dont ils se pratiquent aujourd'hui en Belgique, lisez les brèves "La tenue d'une Kneipe, d'un Cantus" et "Ad diagonalem ! Ad fundum !"

Les étudiants suisses

Faute de facultés en nombre suffisant dans leurs régions, de nombreux étudiants suisses suivaient les cours dans les universités allemandes. Ils en ramenèrent l'organisation typique des sociétés estudiantines dites "germaniques" : la tenue de Kneipen, l'usage du Comment, l'usage de symboles et le port de signes distinctifs.

La Société de Belles-Lettres, fut créée dès 1806. On s'y préoccupait principalement de littérature. Si on y porte le sautoir et la casquette des sociétés "germaniques" (ou le béret des étudiants français), on n’y pratique pas les rites des Corps. (Site de la section genevoise de l'Helvetia. www.helvetia-ge.ch)

La Société de Zofingue est fondée en 1819. Son objectif était de travailler à l’intérêt général et de rassembler les étudiants sans tendance politique particulière. Des tensions apparurent néanmoins entre conservateurs et libéraux lors de la révolution de 1830. En 1832, des membres créèrent l’Helvetia, une société résolument libérale radicale. Tant à Zofingue qu’à l’Helvetia, on porte casquettes et sautoirs et on se réunit selon les rites des sociétés "germaniques". (Site de l'Helvetia Genevensis.)