dimanche 23 septembre 2012

Premières traces du Comment en Belgique ? Des Crocodiles et des Salamandres

Le 17 janvier 1863, l'Illustrierte Zeitung publie une gravure de Léo von Elliot représentant l’estaminet "Le Trou", situé rue des Sols, en face de l'université. On y découvre des étudiants en casquette, buvant et dansant. On y voit aussi les fresques murales réalisées par les Crocodiles, dont le célèbre Félicien Rops. Il s'agit probablement de l'unique trace de ces peintures. (Lisez : "Un temple et dix commandements")

Mais la gravure telle qu'imprimée dans l'Illustrierte Zeitung (et communiquée à En Bordeaux et Bleu par un libraire allemand) est exceptionnelle pour les historiens du folklore estudiantin car l'article consacré au "Trou", imprimé au verso, évoque les Crocodiles (qui s'y réunissaient) ainsi que leur journal... et il nous livre un petit scoop...

L’auteur (anonyme) de l'article désigne les Crocodiles par le terme "Corps". Et il affirme qu'ils s’étaient inspiré des "Kneipen" des étudiants allemands pour établir les rituels de leurs réunions : les Crocodiles auraient ainsi possédé un "Comment" et auraient "frotter des Salamandres". Tous ces termes sont très marqués : ils renvoient au fonctionnement et aux rituels des sociétés germaniques d'étudiants, dont nous avons déjà parlé.

Sous-titre : si l'on croit le journaliste, les Crocodiles étaient structurés sur le modèle des corporations étudiantes germaniques et tenaient leurs séances selon le rituel en latin propre à ces sociétés. Quant à leurs à-fonds, ils les auraient exécutés suivant la cérémonie de la Salamandre.

De "grands" officiers 

Notons toutefois que les officiers des Crocodiles ne portent pas les titres de Senior, Censor et Quaestor habituellement employés dans les corporations germaniques pour désigner respectivement le président, le responsable de la discipline et le trésorier.

Le président de la Société des Crocodiles porte en effet le titre folklorique de "grand Oriflan" et le "ministre de l’Intérieur" celui de "grand Alligator". Quant au "ministre des finances", il est appelé "grand Caïman".(in Le Crocodile du 1er février 1853) 

Premières traces du Comment en Belgique ? 

Si les Crocodiles ont bel et bien tenu des Kneipen basées sur un Comment, nous disposons là des premières traces connues de ce type de rites en Belgique.

Les usages de la Kneipe, du Comment et de la Salamandre ont pu arriver à Bruxelles dans les bagages des étudiants suisses, allemands ou luxembourgeois. Or on sait que les étudiants de l’époque, issus pour la plupart de la bourgeoisie, voyageaient beaucoup. Et que des étudiants suisses ont fui la guerre du Sonderbund, qui éclata en 1847 entre les citoyens helvétiques pour des raisons religieuses et politiques. Et L.S. Hymans, J.-B. Rousseau, les auteurs du "Diable à Bruxelles" (publié en 1853) confirment également qu'en 1848 des étudiants allemands étaient présents à Bruxelles aux réunions de l'une des deux premières Sociétés de l'ULB, qui se tenaient à l'hôtel de Barcelone.

Si la présence du Comment en Belgique vers 1850 est confirmée, on tiendrait là un deuxième petit scoop... Car il est généralement admis que le Comment a été introduit en Belgique en 1872, à l’université de Louvain, par les étudiants suisses, catholiques et germanophones, de l’"Helvetia Lovaniensis". Ce groupement – qui exista trois ans – était la section louvaniste de la "Société des étudiants suisses" ou "Schweizerischer Studentenverein". (Voyez le site de la Sarinia www.sarinia.ch) 

Validité des infos 

Quelle est la valeur des informations livrées par l'Illustrierte Zeitung ?

Le journaliste évoque la présence de réfugiés politiques - surtout français - aux réunions des Crocodiles. Ce qui est confirmé par l'historien Pierre Van Den Dungen. (Pierre Van Den Dungen dans "L'Université libre au temps des Crocodiles" in Rops - De Coster. Une jeunesse à l'université libre de Bruxelles, les Cahiers du GRAM, 1996). Puisque cette information est exacte, il est possible que les autres - sur la tenue de Kneipen et l'emploi du Comment par les Crocodiles - le soient également.

Néanmoins, le journaliste écrit également qu'une Société des Etudiants (dotée de son propre local) a vu le jour peu après la disparition des Crocodiles et de leur journal satirique. Ce que nous devons encore vérifier aux Archives de l'ULB... Si nos recherches confirmaient cette deuxième information, les doutes sur l'emploi de rites estudiantins germaniques par les Crocodiles seraient pratiquement dissipés...

Illustrierte Zeitung du 17 janvier 1863, p.54.