lundi 3 mars 2014

L'ULB devant la guerre d'Espagne

[Par Georgette Smolski]

Liste des abréviations :
U.L.B. Université Libre de Bruxelles
A.G. Association Générale des Etudiants
B.U. Journal Bruxelles Universitaire
C.V.I.A. Comité de Vigilance des Intellectuels Anti-fascistes
E.S.U. Etudiants Socialistes Unifiés
P.O.B. Parti Ouvrier Belge
Papiers personnels P. L’action des étudiants de l’U.L.B. pour l’Espagne Républicaine (1937-38). 23 pages manuscrites rédigées spécialement par l'un des éléments les plus actifs de cette aide et reprises sous la mention : P.P.P.

Introduction
En 1936, parmi les organisations estudiantines, on trouvait un groupement d’ensemble, l’Association Générale des Etudiants fédérant les cercles facultaires : l’Association des Etudiants (un cercle culturel et social basé sur le principe philosophique de l’U.L.B.), le Cercle du Libre Examen et des groupes politiques tels les Etudiants Libéraux et les Etudiants Socialistes Unifiés réunissant socialistes et communistes (seule organisation de ce genre en Belgique). En 1938-39, ce dernier cercle se scindera et les socialistes reformeront un groupement distinct. Quant aux trotskystes et aux anarchistes, ils étaient trop peu nombreux pour former un groupe organisé. Les étudiants néerlandophones, une faible minorité, se retrouvaient dans des cercles politiques analogues et dans un cercle culturel, « Geen Taal geen Vrijheid », se réclamant aussi de l’esprit du libre examen. Chacune des quatre organisations francophones avait son journal (depuis mars 1937 pour le Libre Examen).
En 1936, les étudiants, sous l’impulsion de l’ardent Cercle du Libre Examen, continuaient à mener un combat antifasciste : contre les rexistes, empêchés de s’implanter à l’Université et constamment pris à partie (dans le « Bruxelles Universitaire » notamment), et contre des membres de la Légion Nationale Universitaire, exclus des rangs du Libre Examen. Quelque temps auparavant, de nombreux étudiants avaient aussi participé à des manifestations antifascistes tapageuses, notamment contre l’ambassade d’Italie. La position des étudiants libéraux était « Ni Rex, ni Moscou ».
La grande masse des étudiants s’intéressait surtout à ses études, mais sous diverses influences, notamment la situation internationale et le dynamisme des cercles, commençait « à rompre avec sa superbe indifférence devant les problèmes les plus vitaux » (L’Universitaire, 14 février 1936).
Le 20 novembre, anniversaire de l’U.L.B., un hommage est aussi rendu à Ferrer (Francisco Ferrer, fusillé à Barcelone en 1909, est considéré comme le symbole de la liberté de conscience).

I. L'action pour l'Espagne
A. Les Etudiants : 1936-37

Dès la rentrée d’octobre des journaux estudiantins, tels le « Bruxelles Universitaire », organe de l’A.G. des étudiants, et « L’Universitaire », celui des Etudiants Socialistes Unifiés, publient des appels à l’aide émanant d'organisations espagnoles républicaines, ainsi que des articles de réflexion.

Fin octobre, les Etudiants Socialistes Unifiés organisent une conférence d’Information qui attire un nombreux public d’étudiants, de professeurs, d’hommes politiques tels Marie Spaak, sénateur socialiste. Relecom (communiste) appelle les étudiants à s’organiser pour apporter des vivres, des vêtements, de l’argent. Isabelle Blume (socialiste), de retour d'Espagne, fait revivre l’atmosphère du Front Populaire. Louis de Brouckère (socialiste) appelle les jeunes à choisir entre deux civilisations : les principes autoritaires ou la démocratie montante. « L’étude est belle et intéressante, à condition qu’on y joigne l'action », conclut-il (L'Universitaire, 1er novembre 1936).
Mais ces manifestations ne touchent qu’une frange d’étudiants politisés. Et en Belgique la presse de droite se déchaîne contre l’Espagne républicaine. Pas facile d’y voir clair !

La mort de Pierre Brächet
Ce qui semble avoir eu le plus d’impact sur les étudiants, c’est la mort héroïque d’un de leurs aînés, à 25 ans, dans les rangs républicains, devant Madrid, le 11 novembre 1936. Intellectuel de grand format, Pierre Brächet avait laissé une vive impression à l’Université d’où il était sorti docteur en droit quelques années auparavant ; il avait joué un rôle actif dans les luttes antifascistes. Sa lucidité, son humanité, son courage l’avaient rendu populaire. Jeune journaliste socialiste, Brächet était parti en Espagne dès le début de la guerre civile ; là, il s’engagea dans l’armée républicaine car il estimait que le sort de la liberté de l’Europe s’y jouait alors. C’est en continuant à tirer à la mitrailleuse malgré l’ordre de repli qu’il avait péri sur le front du Manzanarès. Sa mort héroïque suscita immédiatement des témoignages d’estime et de respect à l’Université et des évocations élogieuses parurent dans les trois journaux estudiantins.
Le 27 novembre, le Cercle de Droit de l’U.L.B. organisa une séance solennelle d’hommage en présence de la famille du disparu et du représentant de la République Espagnole. La grande salle de la Maison des Etudiants était comble ; professeurs, étudiants et amis écoutèrent avec une vive émotion les orateurs, parmi lesquels des condisciples de Brächet. Dans son éloge, le recteur Albert Dustin compara la lutte pour la liberté en Espagne à la cause des Belges en 1914-18 (Union des Anciens Etudiants de l’U.L.B., n° 101, nov.-déc. 1936). Henri Rolin, ancien professeur de Brächet, évoqua sa jeune vie, critiqua le blocus contre l’Espagne Républicaine et souligna le courage du peuple espagnol et des Brigades Internationales. Pour perpétuer le souvenir du jeune héros, les étudiants décidèrent de récolter de l’argent afin d’aider sa mère, Madame Brächet, à édifier un hôpital en Espagne (Pierre Brächet appartenait à une grande famille universitaire. Son père, le professeur Albert Brächet, embryologiste de renom international, décédé en 1930, fut recteur de l’U.L.B. Son frère Jean, docteur en médecine, allait devenir professeur de biologie à l'U.L.B. et recevoir le Prix Francqui).
D’un autre côté, un médecin de grand renom, le docteur Fernand Neuman, professeur de chirurgie à la Faculté de Médecine et chef de service de la clinique universitaire de chirurgie aux Hôpitaux de Bruxelles, partait en Espagne Républicaine pratiquer sa spécialité au front, ainsi que son assistant, le docteur René Dumont. Le professeur Neuman avait, durant la guerre 14-18, collaboré avec le célèbre docteur Antoine Depage, sur le front belge, et fait de la chirurgie d'urgence. Avec le docteur Marteaux, alors député socialiste de Bruxelles et membre actif de la Commission d’Assistance Publique de Bruxelles, il mit notamment sur pied l’hôpital militaire d’Onteniente, soutenu par les Internationales Socialistes (syndicale et politique), en liaison avec le gouvernement espagnol (Dépêche de Toulouse, 10 mars 1938.).

L’aide humanitaire s'organise
En janvier 1937, un responsable estudiantin constate « une certaine indifférence devant la longueur de la lutte » et appelle à intensifier la solidarité (Pierre LAISNEZ , dirigeant des E.S.U., dans L’Universitaire, 15 janvier 1937.).
Au printemps 1937, peu après la tragédie de Guernica, l’Association Générale des Etudiants décida d’organiser une collecte publique pour les enfants d’Espagne. Cette action fut placée sous le contrôle de la Croix-Rouge de Belgique qui avait calculé que les fonds recueillis, de son côté, iraient pour 75 % aux républicains et pour 25% à Burgos.
Le 11 mai 1937, l’assemblée générale du Cercle Le Libre Examen fut mise au courant d’un projet de parrainage par l’U.L.B. d’un centre d'accueil pour enfants en Espagne. Le Comité du cercle appela les étudiants à participer aux collectes et à la vente d’une brochure. L’autorisation de collecter fut non seulement accordée, mais encouragée par le bourgmestre libéral de Bruxelles, Adolphe Max. Le président du Conseil d'Administration de l’U.L.B., Paul Hymans, libéral célèbre, préfaça la brochure expliquant le sens de cette action.
Dans les rues de Bruxelles et des communes avoisinantes, les samedi 29 et dimanche 30 mai 1937, plusieurs centaines d'étudiants et d’étudiantes sollicitèrent les passants. La collecte totalisa plus de trente mille francs, chiffre considérable pour l’époque et très supérieur aux collectes d’autres oeuvres (Papiers personnels)
L’A.G. décida de consacrer les fonds obtenus — déduction faite de la part destinée par la Croix-Rouge aux nationalistes — à deux homes d’enfants, à Castalla et à Can Toni Gros. Le premier avait été fondé par Mme Brächet après la mort de son fils, à 40 km d’Alicante, pour une cinquantaine d’orphelins de guerre dont les pères avaient combattu dans la brigade d’El Campesino, avec Pierre Brächet. Le second home, au nord de la Catalogne, avait été créé par le Comité International de Coordination pour l’Aide à l’Espagne Républicaine.

Découverte de l'Espagne républicaine
En été 1937, mandatés par l’A.G., une dizaine d'étudiants et d’anciens étudiants affrétèrent un vieux camion; il fut chargé de vêtements pour enfants et de couvertures, recueillis un peu partout, surtout dans la commune de Saint-Gilles-lez-Bruxelles. L’autre partie du chargement comprenait des vivres — lait condensé et conserves de viande — fournis par les Grands Magasins « A l’Innovation », dont la direction était proche de l’Université. Le groupe comprenait notamment Henri Cornil, Luc André, Mieke Verougstraete (droit), Jean Morissens (chimie), Emile Altorfer (ingénieur, sorti de l’U.L.B.), Mariette Genard (institutrice). A cette époque, peu d’étudiants savaient conduire et le voyage fut fatigant. Bardé de banderoles en français et en espagnol, le camion suscita dès le départ de Bruxelles la sympathie des passants.
A Barcelone, une partie du groupe fut aiguillée vers des quakers américains, riches et bien introduits dans les ministères, qui facilitèrent la tâche des étudiants. L’aide répartie, les jeunes Belges passèrent le mois d’août avec des étudiants espagnols peu politisés, d’abord dans le home de Can Toni Gros, près de San Juan de las Abadesas, ensuite en montagne, près de Puigcerda (Témoignage de Jean Morissens.). L’autre partie du groupe se rendit au home de Castalla (Témoignage de Mariette Genard.) où il rencontra Mme Brächet ; elle leur demanda de continuer à recueillir des fonds pour les enfants. Elle les engagea aussi à voyager à travers le pays pour pouvoir témoigner, à leur retour, de l’immense effort d’organisation entrepris pour résister au fascisme (Papiers personnels).
Pendant trois semaines, les étudiants parcoururent l’Espagne Républicaine, notamment la Catalogne. Ils constatèrent les ravages de l’aviation franquiste dans les grandes villes, frayèrent avec divers groupements de jeunesse, des anarchistes aux libéraux, avec des paysans, des soldats. Ils rencontrèrent des membres des Brigades Internationales dont certains leur reprochèrent de ne pas s’engager : « Souvent militants communistes, allemands ou tchèques, ils ne pouvaient comprendre nos préoccupations studieuses », remarque l’un des participants (Témoignage de Jean Morissens.). Grâce au mot d’introduction d’un anarchiste, émigré espagnol en Belgique avant 1914, l’un des voyageurs put rencontrer des milieux très fermés de la C.N.T. et de la F.A.I. en Catalogne.
Les étudiants rapportèrent une documentation abondante et pluraliste : affiches, journaux, photographies.

L'aide estudiantine prend parti pour la République
Au cours de ce voyage, le point de vue des participants se modifia (H. CORNIL, « L’aide des étudiants de l’Université de Bruxelles aux enfants espagnols », Les Cahiers du Libre Examen, numéro 4, octobre 1937) . En mai 1937, l’action en faveur des enfants leur paraissait aussi intéressante des deux côtés et ils ne lui avaient donné aucun caractère politique en la plaçant sous le contrôle de la Croix-Rouge.
En août 1937, ils virent « face au peuple en lutte pour défendre les libertés légalement conquises, des militaires de carrière soutenus par les puissances fascistes et par la papauté ». Ils estimèrent que le sort de la liberté se jouait en Espagne et se rangèrent du côté de la République. Restait à convaincre la communauté estudiantine...

1937-38
Les responsables de l’A.G. et du Libre Examen furent d’accord et sous l’égide de ces deux organismes se constitua, à la rentrée d'octobre 1937, le Comité Estudiantin d’Aide à l’Espagne Républicaine. Une lourde tâche d’organisation et de récolte de fonds l’attendait (« Il n’existe qu’une Espagne, la République », réponse de l’A.G. en séance générale à la question d’un étudiant, B.U., 18 octobre 1937.).

Il fallait des vivres et des vêtements pour subvenir aux besoins des homes de Castalla et de Can Toni Gros. Le Comité put facilement recruter par année et par faculté, un ou une délégué(e) chargé(e) de récolter chaque mois les dons de ses condisciples, soit 5 francs par personne pour un total de 6.000 francs par mois, en moyenne ; en fait il fallait 10.000 francs par mois rentable (de novembre à mai) afin d’atteindre le total de 72.000 francs annuels.

Quelles furent les réactions de la communauté universitaire ? Sauf de la part des Etudiants Libéraux et de certains cas isolés, il n’y eut pas d’objections au niveau de la solidarité estudiantine, mais parfois des discussions individuelles, politiques ou idéologiques.

Les objections des étudiants libéraux
Dans son excellente étude sur les Libéraux et la Guerre d’Espagne, Marc D’Hoore classe en trois phases, qu’il nuance finement, l’évolution des Etudiants Libéraux de l’U.L.B. (Les Libéraux belges face à la guerre civile espagnole, mémoire de licence en histoire présenté à l’U.L.B., p. 145 et suivantes.)
1.1936 : la neutralité devant le conflit des mystiques (le Frente Popular, c’est-à-dire pour eux le communisme, et le fascisme).
2.1937 : la compréhension.
3.1938 : l’action en faveur de la République.

Le lecteur se reportera donc à cette étude. En 1936-37, beaucoup d’étudiants libéraux adoptèrent le point de vue de leur président, Gilbert Kirschen (Cahiers du Libre Examen numéro 1, mars 1937.) selon qui « la majorité des électeurs libéraux et démocrates-chrétiens, instruite par les événements d'Espagne, est persuadée que le Front Populaire, c'est Moscou... » (Dans les Cahiers du Libre Examen, numéro d’avril 1937, dans la « Tribune Libre Politique », J.P. Puvrez répond à Kirschen que cette conclusion est inexacte et trop hâtive et entreprend de le démontrer, chiffres à l’appui.).

Mais après la fondation du Comité d’Aide, le successeur de Kirschen, Georges Marcq, et Henri Cornil, publient la mise au point suivante que cite aussi Marc D’Hoore.

« Homes pour les enfants espagnols.
« Afin de liquider le conflit survenu au début de l'année entre les Etudiants Libéraux d’une part, l’Association Générale et le Libre Examen d’autre part ; afin d’affirmer clairement la solidarité qui unit tous les étudiants de l’U.L.B. :
« Les Etudiants Libéraux s’engagent à participer à l’action entreprise par le Comité d’Aide à l’Espagne Républicaine en incitant leurs membres à verser régulièrement ce qu’ils peuvent pour les homes d’enfants espagnols soutenus par les étudiants. Toutefois, ils ne peuvent donner à leur action qu’un caractère humanitaire et juridique.
« Ils n’entendent pas s’occuper des affaires intérieures d’Espagne ;
« Dès lors, ils décident de ne pas s’associer nécessairement au Comité d’Aide à l’Espagne Républicaine pour d’autres activités que celui-ci pourrait avoir.
« De son côté, le Comité d’Aide à l’Espagne Républicaine s’engage à consacrer exclusivement à l’achat de vivres et de vêtements pour les enfants espagnols les sommes recueillies mensuellement sur les listes mises en circulation dans toute l’Université.
(signé par Georges Marcq, président des Etudiants libéraux, et Henri Cornil, secrétaire du Comité d’Aide) (Bruxelles Universitaire, 20 octobre 1937, numéro 1.) .
Mais fin octobre, lors d’une réunion publique à la Cité, les Etudiants Libéraux, par la voix de Georges Marcq, firent encore des réserves sur le but poursuivi par le Comité d’Aide. Trois des étudiants de retour d’Espagne, Jean Morissens, Luc André et Henri Cornil, y exposaient leurs impressions devant un nombreux auditoire de professeurs et de jeunes, sous l’égide du Cercle Le Libre Examen et de l’A.G. Il faut soutenir les gouvernementaux, argumentait H. Cornil, en montrant l’opposition idéologique entre républicains et rebelles.
Au cours du débat, Georges Marcq fit valoir les atrocités commises par les « Rouges » (Il ne semble pas que l’argument de l'anticléricalisme ait été invoqué par les Libéraux), la désorganisation des rangs républicains par les anarchistes, le noyautage du gouvernement par les communistes et l’installation de Soviets au-delà des Pyrénées (Papiers personnels).
Les conférenciers replacèrent ces événements regrettables dans le contexte d’une guerre civile violente, qui provoqua des réactions extrêmes de part et d’autre. Ils témoignèrent de l’ordre observé partout où ils s'étaient rendus, de la cohésion de la population en lutte, de la discipline à l’armée et dans les usines.
La soirée avait donc pris un caractère houleux malgré l’encouragement et l’approbation de la majorité aux conférenciers (Papiers personnels).

L'opinion estudiantine devant l'aide et l'information
Pendant ce temps, même les étudiants les plus indifférents voyaient s’amonceler dans le garage de la Cité Estudiantine des caisses de sucre, chocolat, lait condensé, corned-beef, sirop, fromage, biscuits, des colis de vêtements et de couvertures. Et le 10 novembre ces paquets furent chargés sur un camion de 4 tonnes à destination de Castalla et de Can Toni Gros. Il fallait envoyer cette quantité chaque mois (L'Etudiant Socialiste, novembre 1937.).
Du 27 novembre au 5 décembre 1937, le Comité présenta une exposition sur l’Espagne Républicaine et ses réalisations en matière d’instruction et de développement démocratiques. Inaugurée par M. Ruiz Funès, ambassadeur d’Espagne en Belgique, elle connut une grosse affluence. La plupart des documents avaient été ramenés par les étudiants convoyant les vivres l’été précédent. Ils concernaient trois domaines : lois et assistance sociales, réforme agraire, instruction publique (Selon J. Bloch, « Quelques points de la politique du Front Populaire en Espagne », Les Cahiers du Libre Examen, numéro 5 décembre 1937.). L’exposition mettait en relief l’effort d’alphabétisation et d’instruction élémentaire, le caractère pluraliste et démocratique de la société républicaine : reconnaissance de l’autonomie de la Catalogne et du Pays Basque, exemplaires d’une dizaine de journaux différents parus à Madrid un même jour d’août 1937.
Néanmoins, l’opinion estudiantine n'était pas unanimement ralliée à la cause de l’Espagne Républicaine. D’un côté, le Comité d’Aide distribua un tract rappelant son activité de soutien aux homes et démentant catégoriquement « certains bruits lancés par des étudiants mal intentionnés » (« Mise au point », Cahiers du Libre Examen, décembre 1937.). D’un autre côté, l’A.G., appuyée par le Cercle Le Libre Examen obtint du Gouvernement espagnol l’autorisation d’envoyer une délégation d’étudiants à Madrid pendant les vacances afin de juger sur place.

Une délégation pluraliste en Espagne
Cette délégation fut choisie de façon à représenter toutes les opinions — et même ceux qui n’en avaient pas — et tous les cercles facultaires. Outre le secrétaire du Libre Examen, Charles Dosogne, elle comptait notamment le président des Etudiants Libéraux, Georges Marcq, celui du Vlaamsch Liberaal Studenten Verbond, Willy Calewaert.
Ce voyage d’étude se déroula du 18 décembre 1937 au 5 janvier 1938 à Barcelone, Valence et Madrid. Les voyageurs visitèrent des homes et des clubs d’enfants, des écoles et des universités, des usines et des maisons de la culture, des écoles de soldats, des usines de guerre, des organisations de masses. Ils rencontrèrent le général Miaja, des soldats, des officiers, les Brigades Internationales, dont le bataillon Pierre Brächet.
Une participante, Suzanne Cornil (Suzanne Cornil, Témoignage écrit, 3 mai 1986.), qui parlait l’espagnol, souligne : « Nous avons pu sortir librement, sans aucune limitation, interroger les gens et aller n'importe où » ; « Une impression marquante : le calme de la population qui subissait les bombardements avec courage et ne croyait pas à une possible défaite. » ; « Je ne me souviens pas d’avoir rencontré un Russe, ni dans la rue, ni dans les endroits visités, quoique les Espagnols en aient beaucoup parlé. ».

Le rapport de la délégation
II fut publié par le Comité Estudiantin d’Aide à l’Espagne Républicaine en février 1938. Après avoir donné la liste des participants, il exposa les buts, l’itinéraire, l’atmosphère, le front de la culture. Faisant l’historique de l’armée populaire, il souligna les difficultés « de faire comprendre aux paysans et à tous ceux qui sont imprégnés des principes anarchistes de liberté, de pacifisme et d’antimilitarisme, que cette armée populaire est la seule condition de leur liberté ». D’autre part, « la presse réactionnaire a essayé de représenter l’armée républicaine comme une Armée Rouge. Il n’en est rien. L’armée se compose de toutes les classes démocratiques de la nation : ouvriers, paysans, classes moyennes, unis pour défendre la République. Elle n’est ni rouge ni bourgeoise. »
Le chapitre sur « l’invasion étrangère et la solidarité internationale » stigmatise l’intervention des états fascistes et la politique de non-intervention des pays démocratiques ; mais il souligne l’ampleur de l’aide à l’Espagne Républicaine : envoi de vivres, construction d’hôpitaux, accueil d'enfants.
En ce qui concerne le « sentiment de reconnaissance envers » l’URSS, il est très semblable à celui qui anima les Alliés de 1917 et 1918 lors de l’intervention des Etats-Unis.
Charles Dosogne souligna le rôle important des étudiants à l’arrière comme au front.

L'évolution des libéraux
Pour certains, l’essentiel de ce voyage est l’évolution de Georges Marcq, déjà amorcée en octobre 1937. Le nouveau président des Etudiants Libéraux nous livre ses « Réflexions » (Rapport d’une délégation d'étudiants de l’U.L.B. sur son voyage en Espagne, pp. 38-41) déjà commentées par Marc D’Hoore (Les libéraux belges face à la guerre civile espagnole, pp. 147 et suivantes.). Rappelons-en des extraits : « Parti personnellement pour l’Espagne en adversaire, n’ayant jamais caché mes opinions,... Madrid m’a fait beaucoup comprendre. » « Et c’est un appel à la compréhension que je lance ici aux adversaires de l’Espagne Républicaine. » « ... Lorsque le modéré belge aura... fait abstraction de sa propre vérité et considéré le problème espagnol de plus haut, lorsqu’il aura compris, ... sa conscience aura le droit de juger... Ce jugement pourra différer d’un individu à l’autre, mais (il sera) le fait de l’esprit et non la résultante de la calomnie et de l’imagination. »
L’un des participants au voyage estime que c’est l'entretien avec un ministre du parti de la Gauche Républicaine, équivalent du Parti Libéral, qui fut décisif dans cette évolution. Le ministre sut faire comprendre à ses auditeurs que la République ne pourrait en sortir tant que les démocraties occidentales se borneraient à formuler des vœux pieux pour son succès. L’enjeu de la guerre dépassait la survie de la République Espagnole, il concernait la survie de toutes les démocraties européennes (Papiers personnels).

De nouvelles initiatives

Au retour, chacun des membres projeta d’exposer ses impressions devant les étudiants de sa faculté ; quant à la publication du rapport, elle fut suivie d'une conférence diffusant ses conclusions. Il semble qu’après le retour de cette délégation pluraliste, les étudiants furent encore plus nombreux à soutenir la République ce qui facilita la récolte de fonds mensuelle.
Au début de l'année 1938, l’Association des Etudiantes organisa avec un réel succès une semaine du tabac au profit des combattants belges en Espagne. Au cours du meeting du 12 février en l’honneur des soldats belges du bataillon Pierre Brächet. Marcelle Remy, présidente de l’Association des Etudiantes, parla de l’aide apportée par son organisation et évoqua le souvenir de Brächet. D’autre part, depuis la rentrée, les jeunes filles avaient installé un ouvroir de couture et de tricot. Ayant obtenu des tissus au prix coûtant, elles en confectionnèrent des jupes et d’autres vêtements destinés aux femmes d’Espagne, puis aux réfugiés (Témoignage de M. Boute.) .

Grève et manifestation contre la non-intervention
A Genève, le 13 mai 1938, devant le Conseil de la Société des Nations, le ministre des Affaires Etrangères de la République, Alvarez del Vayo, proposa que l'on mette fin à la politique de non-intervention puisque l’Allemagne et l’Italie continuaient impunément leur agression. Au moment où del Vayo prononçait son discours, les étudiants avaient décidé de faire grève et de se réunir devant l’entrée de la Cité. A cette époque, une action de ce genre était exceptionnelle à l’Université. Des délégués avaient été dans les auditoires expliquer la situation aux étudiants, voire aux professeurs (Témoignage de Ch. Lepoivre.), ces derniers, dans l’ensemble, avaient acquiescé, même certains réputés hostiles.
Ensuite, les délégués des étudiants se rendirent en délégation chez le Premier Ministre P.E. Janson pour appuyer la proposition de mettre fin à la non-intervention. Il y avait parmi eux : Pierre Recht (A.G.), Christian Lepoivre et Charles Dosogne (Libre Examen), Henri Cornil (Comité d’Aide), Jan Dufour (Geen Taal Geen Vrijheid), Luc André (Etudiants Libéraux), Jacques Coeckelenbergh (E.S.U.).
Une manifestation dans les rues de Bruxelles demanda également au gouvernement d’abandonner sa politique de neutralité et d’envoyer à l’Espagne les armes et les avions indispensables contre l’agresseur.
Les samedi 14 et dimanche 15 mai, une collecte dans les rues de Bruxelles remporta le même succès que celle de 1937. L'argent recueilli permit de subvenir aux besoins des homes durant les vacances universitaires.
Du 1er au 10 août 1938, le dynamique groupe « Honneur », une branche des Boy-scouts de Belgique, qui comptait d’anciens étudiants parmi ses Routiers, organisa un grand camp pour environ 150 enfants espagnols, à Limelette près d’Ottignies. Plusieurs membres du Comité d’Aide Estudiantin y participèrent activement. Lors de ce premier contact avec des enfants arrivés directement d’un pays en guerre, les étudiants furent impressionnés par leurs convictions républicaines (Témoignage de G. Smolski.).

1938-39
A la rentrée d'octobre 1938, la collecte de fonds mensuelle se poursuivit ainsi que d'autres actions, dans un contexte politique de plus en plus angoissant. Créé en 1938-39 un Comité d'Entraide de l’U.L.B. chapeautait théoriquement l’aide à la République espagnole, à la Chine, aux victimes du racisme. Mais la priorité restait à l’Espagne.
En automne 1938, les étudiants d’Amérique avaient lancé à ceux d’Europe un défi portant sur les sommes d’argent à envoyer sous forme de vivres aux enfants durant la période du 15 octobre 1938 au 15 janvier 1939. Le Comité International du Rassemblement mondial des Etudiants, réuni à Paris les 17 et 18 décembre 1938, en présence de 42 représentants de 19 pays, constata que ce concours avait déjà rassemblé 720.000 francs. L’U.L.B. allait se classer troisième, après Cambridge et Oxford.
Les 5 et 6 novembre, une nouvelle collecte en ville rapporta 4.000 francs, et 2.500 francs furent récoltés lors de la présentation du film Blockade. Le 20 novembre commença une semaine de privation. Les étudiants furent invités à se passer de chocolat, de cigarettes et de cinéma et à verser cet argent au Comité d’Aide qui avait besoin d’atteindre les 100.000 francs avant le 1er janvier (Ainsi que le rappelle L’Etudiant Libéral qui publie ces appels et d’émouvantes photos sur 3/4 de page. 19 novembre 1938.).

Pétition au gouvernement belge pour la levée de l'embargo
En janvier 1939, le Comité s'occupa de recueillir des signatures pour la requête suivante : « Les étudiants et les professeurs de l’U.L.B. soussignés, conscients du rôle du peuple et du gouvernement d’Espagne pour la liberté et la démocratie dans le monde et du danger pour la France et la démocratie européenne de l’occupation de la Catalogne par les troupes fascistes, réclament d’urgence du gouvernement belge l’aide matérielle à la population civile d’Espagne, l’hébergement des enfants réfugiés de Barcelone, la levée immédiate de l’embargo sur les armes à destination de l’Espagne Républicaine ». Il y eut entre 1.100 et 1.200 signatures, dont celle de nombreux professeurs et de responsables étudiants, libéraux notamment.
Le vendredi 27 janvier, un cortège estimé entre 800 et un millier d’étudiants descendit en ville par la rue de Namur, se dirigeant vers la Bourse. Sur les nombreux calicots, on pouvait lire : « Des avions pour l’Espagne », « L’Espagne nous a aidés en 1914-1918, ne l’oublions pas », « II n’est pas trop tard. Agissons ! ».
Place Royale un étudiant harangua les manifestants. De nombreux gendarmes et policiers avaient été disséminés dans la zone neutre. Une délégation d’étudiants fut autorisée à y pénétrer afin d’être reçue par M. Spaak, premier ministre. Elle se composait de Louis Fonsny (secrétaire du Comité d’Aide), Pierre Recht (A.G.), Collinet, André Wendelen, Drèze, Marcel Slusny, Jacques Coeckelenbergh, représentant les tendances libérales, socialiste et communiste (Journaux Le Soir, 28 janvier 1939 et Le Peuple, 28 janvier 1939, ainsi que le témoignage de Marcel Slusny.). Les étudiants présentèrent la requête et eurent un long entretien avec M. Spaak, qui les reçut aimablement. Marcel Slusny, porte-parole de la délégation, insista sur la gravité de la situation. Mais M. Spaak ne se montra disposé à intervenir que pour l’aide et l’hébergement des civils. Quant à l’embargo sur les armes, cette question ne peut être posée actuellement.

La question de Burgos
Les étudiants ont été très sensibles au projet d’envoi d'un agent consulaire à Burgos, prélude à la reconnaissance de Franco.
Le 2 novembre 1938, le Comité des Etudiants Libéraux fit paraître le placard suivant: « M. Paul-Henri Spaak, les Etudiants libéraux protestent avec la dernière énergie contre toute reconnaissance, déguisée ou non, de Burgos ». Le 9 novembre, lors de la discussion à ce sujet à l’assemblée générale du Cercle des Etudiants Libéraux, De Ligne approuva le Comité « car il était indispensable de ne pas rompre l'unité idéologique de l’U.L.B. dans la question espagnole ». Et quand Wendelen demanda si quelqu’un dans la salle était partisan d’une reconnaissance de Franco, ce fut le silence (L’Etudiant Libéral, 19 novembre 1938.).
D’autre part, notons que c'est ici la seule trace de préoccupations économiques trouvée dans la presse estudiantine. Discutant « le but politique camouflé par des considérations économiques archifausses », le président cite abondamment des chiffres du commerce extérieur belgo-espagnol en se basant sur l’étude de M. Hambresin, ingénieur et licencié en sciences économiques de l’Université de Louvain (G. FABROT, « Encore Burgos », éditorial de L’Etudiant Libéral, 19 novembre 1938. Ces mêmes références reviennent dans le compte-rendu de l’assemblée générale du 9 novembre.).
D’autre part, une déclaration commune de tous les cercles de l’U.L.B. fait appel « aux représentants de tous les partis démocratiques et particulièrement aux membres du Comité Permanent du Parti Libéral et aux délégués du Congrès du P.O.B. pour qu’ils s’opposent à cette reconnaissance qui serait un acte d’approbation à l’invasion étrangère en Espagne » (Discours de Noël au Sénat, A.P.S., 29 novembre 1938, cité également  par M. D’HOORE, op.cit, p. 244.).
Deux mois après, les Cahiers du Libre Examen en janvier 1939 expriment « le trouble... ressenti par un grand nombre de nos camarades devant le changement d’attitude du professeur Rolin dans la question de Burgos » et publient ses explications. Rassurant les étudiants, le sénateur Rolin continue à estimer que l’établissement de relations avec Burgos demeure un geste inutile du point de vue de nos intérêts commerciaux et malencontreux politiquement. Mais la question ne s’est pas posée ainsi au Congrès du P.O.B. Selon lui, les socialistes se sont résignés à subir l’envoi d’un représentant à Burgos et, en sauvant ainsi leur participation ministérielle, ils permettent la poursuite de l’action de la Belgique contre l’intervention italienne en Espagne. Nous ignorons si les étudiants furent rassurés. Mais la défaite de l’Espagne n’était plus qu’une question de semaines.
Les dernières conférences se déroulèrent dans une ambiance dramatique : le séminaire de M. Miravilès, ministre de la Propagande de la Généralité de Catalogne ; la conférence de l’écrivain catholique José Begamin, « Ombres et lumières sur l’Espagne », le 1er mars ; et le compte-rendu, fait le 6 mars par Christian Lepoivre, président du Libre Examen, invité par le Gouvernement à passer 40 jours en Espagne avec une délégation internationale.

Après la défaite
La défaite de la République fut durement ressentie par les étudiants qui voyaient s’étendre la tache fasciste, encerclant notamment la France. Chez certains, elle provoqua un sentiment de grand pessimisme. Mais des tâches nouvelles se présentèrent. L’aide financière continua, ce qui permit de maintenir en Belgique des homes pour petits réfugiés. Des étudiants et des étudiantes de l’U.L.B. y remplacèrent des instituteurs belges rappelés sous les drapeaux en 1939, notamment au home de Limelette (Témoignage de G. Smolski.). Mme Brächet continuait à s’en occuper activement.
D’autre part, plusieurs professeurs, des anciens étudiants et des parents avaient recueilli chez eux des enfants espagnols, comme de nombreux autres Belges. Enfin, la solidarité estudiantine joua aussi pour alléger les épouvantables conditions de vie des étudiants espagnols réfugiés dans les camps d’Argelès, de Saint-Cyprien et de Bacarès (Jeudi, n° 1, 23 mars 1939.). Des étudiants firent des conférences politiques. Ainsi Willy Calewaert, qui intitula désormais ses exposés en Flandre sur l’Espagne « Aurons-nous la guerre ? ». C’était un réquisitoire contre les puissances occidentales qui n’avaient pas fait leur devoir et donnaient de la démocratie une image de débandade et de faiblesse (Témoignage de W. Calewaert.).

B. Le corps enseignant
Les professeurs jouissaient d’un grand prestige et il y avait en général une grande distance entre eux et les étudiants. Ce corps, qui comprenait de nombreux francs-maçons, était en majorité de tendance libérale ; il comptait des enseignants socialistes et même quelques communistes. Le professeur Paul Brien présidait le Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes dont la section de l’U.L.B. était dirigée par Armand Abel, alors professeur à l’Institut des Hautes Etudes.
Dès l'été 1936, certains professeurs avaient manifesté leur sympathie aux républicains. Louis de Brouckère, président de l’Internationale Ouvrière, publiait un grand article le 15 octobre 1936, dans L’Universitaire : « Comment aider l’Espagne » où il appelait « à conquérir notre opinion publique qui portera les gouvernements à traiter l’Espagne selon la loi internationale. »
Parmi les socialistes de l’Université, Henri Rolin occupe une place de premier plan. Professeur de Droit International, dans ses entretiens avec ses étudiants, il n’hésitait pas à donner son avis sur les événements d’Espagne (Témoignage de Marcel Slusny) ; son action sera étudiée ailleurs au cours de ce colloque. Le 20 novembre 1937, il écrit dans le Bruxelles Universitaire (« La jeunesse et les menaces de guerre », B.U., 20 novembre 1937.) : « La jeunesse estudiantine de FU.L.B. a montré qu’elle avait pleinement conscience de l’aveuglement et de l’indignité de la politique extérieure actuellement suivie par les pays d'Europe Occidentale. »
Son collègue Eugène Soudan, socialiste également, est beaucoup plus en retrait (Nous ne possédons pas de renseignements sur les discussions éventuelles entre tendances socialistes dans ce milieu feutré qu'était le corps professoral de l'U.L.B.). Il avait néanmoins accepté d’être l’un des parrains du Comité Belge d'Assistance aux Enfants d'Espagne (neutre). Plus tard, comme ministre des Affaires Etrangères, c'est lui qui normalisera les relations diplomatiques avec Franco, le 21 mars 1939.
Les recteurs Albert Dustin (1935-38) et Frans van den Dungen ensuite, ne cachèrent pas leurs sympathies pour l’Espagne Républicaine. Le libéral Paul Hymans, président du Conseil d’Administration, préfaça, on l’a dit, la brochure vendue lors de la collecte des 13-14 mai 1937, collecte destinée aux enfants des deux camps.
Parmi les professeurs présents lors des conférences à l’U.L.B., nous avons pu retrouver les noms de MM. Allard, Georges et Paul Cornil, De Reul, du docteur Camille Hennebert, de MM. Lurquin et Georges Smets. Lucia de Brouckère, Paul Libois, Henri Laurent étaient très engagés. Ce dernier collaborait notamment à Combat, hebdomadaire du C.V.I.A.
Parmi les jeunes enseignants ou chercheurs, quand ils ne travaillaient pas à l'étranger, citons Jean Guillissen et Jean Brächet.
Il est probable que la section de Philologie Romane s’intéressa de près à l’Espagne. L’un des futurs professeurs, Emilie Noulet, avait épousé le grand poète catalan José Carner, également professeur à l’U.L.B.
Enfin, rappelons la courageuse participation des chirurgiens F. Neuman et R. Dumont, en Espagne même.
Dans l'ensemble, le corps professoral répondit favorablement aux collectes mensuelles.
Quant aux professeurs — rares sans doute — dont les sympathies penchaient pour l’autre bord, nous ne disposons pas de renseignements à leur sujet. Le rapport de forces en faveur de l'Espagne Républicaine les incitait peut-être à se tenir cois.

C. Les anciens étudiants
En automne 1936, le mensuel de l’Union des Anciens honora le souvenir de Pierre Brächet et publia des extraits du discours du Bâtonnier Th. Braun à la rentrée du Jeune Barreau, et de larges passages de l’allocution du recteur Dustin à la séance d’hommage du 27 novembre (Union des Anciens de l’U.L.B., numéro de novembre-décembre 1936.).
Le 20 novembre, dans son discours au banquet traditionnel de l’Union des Anciens, le président de l’A.G. des Etudiants évoqua lui aussi Pierre Brächet. Un des convives se livra alors à « une manifestation déplorable » qu’il expliqua ensuite dans une lettre au président de l’A.G. le 22 novembre. Certes, il saluait la mémoire de Brächet, mais dans la suite du discours il avait « vu une allusion malheureuse aux événements d’Espagne, alors que la neutralité du Président de l’A.G. des Etudiants s’impose à l’heure où tous les Belges doivent se grouper autour d’un gouvernement d’union nationale et de paix sociale ».
L’Union des Anciens publia intégralement cette lettre « à raison de la pénible émotion que l’attitude malséante de son auteur a provoquée » (Union des Anciens de l'U.L.B., numéro de février 1937.).
Ce cas fut épinglé dans les Cahiers du Libre Examen (« L’action sociale des étudiants et l’Union des Anciens », par P. RAYET, Cahiers du Libre Examen, mai 1937.). L’auteur comprenait trop bien le refus habituel de l’Union des Anciens de prendre position car il y avait en son sein « trop d'intérêts contradictoires, trop de situations établies. »
C’est en effet individuellement que les membres de l’Union, comme ceux du corps professoral, allaient manifester leur sympathie ou leur antipathie envers la République. Ils donnèrent leur contribution, eux aussi, aux récoltes de fonds du Comité d’Aide. L’avocat communiste Jean Bastien s’engagea dans les Brigades Internationales.
Dès novembre 1936, impressionnés par la mort de Pierre Brächet, docteur en droit de l’U.L.B., engagé volontaire dans l’armée républicaine, les étudiants décidèrent de récolter de l’argent en faveur de l’Espagne, notamment grâce à des collectes à Bruxelles.
Partis d'un point de vue neutre, des étudiants, après un voyage en Espagne durant l’été 1937, proposèrent d’orienter l'aide uniquement vers l’Espagne Républicaine. Soutenus par des cercles aussi importants que l’A.G. et Le Libre Examen, ils créèrent à l'U.L.B., dès octobre 1937, un Comité Estudiantin d’Aide à l'Espagne. Celui-ci recueillit 5 fr. par mois auprès de chaque étudiant afin de subvenir à l’entretien des homes d’enfants de Castalla et de Can Toni Gros.
Des collectes dans les rues de Bruxelles et d’autres activités leur permirent d’atteindre leurs objectifs et de récolter plus de 100.000 fr. de mai 1937 à octobre 1938. En 38-39, l’objectif des 72.000 fr. fut, semble-t-il, également touché.
Le Comité d’Aide, appuyé par des cercles politiques et culturels, organisa aussi des séances d’information, des expositions, des conférences, une délégation pluraliste en Espagne, et souligna l’effort culturel et social du gouvernement républicain. Sous son impulsion, les étudiants menèrent des actions contre la politique de non-intervention et contre la reconnaissance de Burgos, au moyen de discours, d’une grève, de cortèges en ville et de pétitions.
A l’unanimité, les Etudiants Socialistes, Communistes, et individuellement des étudiants libéraux prirent position dès le début aux côtés de la République. Quant au Cercle des Etudiants Libéraux, il évolua de la neutralité à l'adhésion.
La masse de l’opinion publique estudiantine, elle, passa d’une sympathie vague envers des enfants victimes de la guerre et des bombardements, à une prise de position active envers l’Espagne Républicaine, devançant ainsi l’opinion publique belge en général.

II. La presse estudiantine à propos de l'Espagne
De 1936 à 1939, la presse estudiantine est très vivante, vigoureuse, personnalisée; elle essaye de paraître plus souvent, mais est en général mensuelle.
Dès octobre 1936, on y trouve, sauf dans L’Etudiant Libéral, des articles favorables à l’Espagne Républicaine, et cela continuera de 1936 à 1939. (Pour L’Etudiant Libéral, citons néamoins dans le numéro de novembre 1936 une allusion, par Henri Janne, aux « horreurs de l’Espagne déchirée » dans « Paroles aux nouveaux-venus » et ailleurs un hommage à Pierre Brächet « qui n’hésita pas à sacrificier sa jeunesse pour ceux qui souffrent et défendent leur idéal ».)
Elle joue donc dès l’abord un rôle d’avant-garde par rapport à la masse des étudiants.
Le Bruxelles Universitaire (B.U.), organe de l'A.G., publie des informations sur l’aide à l’Espagne, la mise au point des Etudiants Libéraux et des articles de fond.
Les Cahiers du Libre Examen, fondés le 1er mars 1937, sont complétés à partir du 23 mars 1939, par Jeudi, hebdomadaire puis bimensuel. Ils consacrent à l'Espagne de nombreuses informations, notamment sur les mouvements d'étudiants nationaux et internationaux, des articles de réflexion, voire une brève polémique.
L’Universitaire, édité par les Etudiants Socialistes Unifiés, publie dès octobre 1936, d’innombrables articles sur l’aide à l’Espagne, des témoignages de voyageurs et d’Espagnols, des reportages, des photos et des caricatures. Il ne manque jamais d’exalter l'U.R.S.S. « qui soutient l’Espagne Républicaine contre le fascisme ». Les E.S.U. diffusent aussi L’Etudiant Socialiste, organe de l’Internationale des Etudiants Socialistes.
Nous n’avons pu encore trouver l’organe que les Etudiants Socialistes auraient commencé à publier après la scission avec les E.S.U. durant l’année 1938-39, sans doute après la défaite espagnole.
L’Etudiant Libéral répercute l’orientation de son comité envers l’Espagne Républicaine, mais à l'occasion reflète d'autres sensibilités, de libéraux ou d’adversaires politiques dans sa Tribune Libre. Sauf un article traitant des pressions catholiques contre des prisonnières républicaines (B.U. 20 avril 1937.), nous n’avons rien trouvé sur l’Espagne de Franco.
La guerre d’Espagne vue à travers la presse estudiantine mériterait une étude plus approfondie mais nous avons dû nous borner à quelques thèmes.

Solidarité estudiantine avec les Espagnols
Le 15 octobre 1936, le B.U. publie la traduction d'un appel de l’Union Fédérale des Etudiants Espagnols (U.F.E.H.) adressé à une série d’organisations estudiantines leur demandant notamment d’arrêter l’action des interventionnistes, de manifester leur solidarité et de faire des conférences.
Comme le gouvernement espagnol requiert des armes, de l’argent, du matériel technique et sanitaire, le B.U. remarque qu'il n’est pas permis d’envoyer des armes mais que les étudiants de l’U.L.B. feront leur devoir « pour empêcher la jésuiterie internationale de reprendre l’Espagne qu’on lui avait arrachée ».
Le même appel, dans une autre traduction, paraîtra sous le titre « Nous saluons nos camarades d'Espagne » et ce, sans commentaires, en première page de L’Universitaire du 15 octobre 1936, à côté de l’article de Louis de Brouckère.
Il y aura dans la presse, à partir de ce moment, de constantes demandes : vivres, médicaments, voire livres pour les Brigades Internationales.
Parmi les références à l’héroïsme des jeunes Espagnols, citons le Cahier du Libre Examen consacré à l’Etudiant (Numéro 9, mars 1938) sous la plume de Jacques Coeckelenbergh, Charles Dosogne, Albert Wintergroen (respectivement porte-paroles des E.S.U., Libre Examen, Association Sportive de l’Université de Bruxelles.) et le numéro de février 1939 par André Wendelen (« L’attitude des étudiants devant la crise européenne »).
L’activité du Comité d’Aide est relayée régulièrement dès le début par les trois journaux et, à partir de 1938, plus sporadiquementdans L’Etudiant Libéral.
Evoquant l'engagement des 6.000 fr. mensuels, L’Universitaire d’octobre 1938 appelle les étudiants socialistes à être les plus actifs, les plus nombreux et les plus enthousiastes dans cette tâche et à y entraîner les condisciples indifférents ou mal informés.
Enfin les discussions avec les Etudiants Libéraux se reflètent dans le B.U., dans les Cahiers du Libre Examen et dans L’Universitaire, où Henri Cornil, secrétaire du Comité, publie un appel percutant aux libéraux en octobre 1937. Dans L’Etudiant Socialiste, Maurice Tutobe ironise sur le refus des libéraux d'aider la République parce qu'un gouvernement plus avancé qu’eux-mêmes n’a pas pris position (Novembre 1937.).

Importance de la guerre d'Espagne
Beaucoup de rédacteurs ont vu l’enjeu de la guerre comme « ce qu’il y a de plus important et de plus tragique dans la situation internationale » (B.U., octobre 1936, La politique étrangère : l’Espagne.).
Dans L’Universitaire, en octobre 1936, Louis de Brouckère estime : « Nous sommes devant un fascisme nouveau, qui fort de sa puissance internationale, opère selon des critères de guerre civile, voire de guerre étrangère. »
Selon Henri Cornil, dans les Cahiers du Libre Examen d’octobre 1938, pour la première fois en Europe depuis 1918, un pays prend une position vraiment démocratique en s’opposant héroïquement à l’impérialisme fasciste. Et plus loin, le même souligne le rôle essentiel de l’Espagne Républicaine dans la lutte qui déjà se dessine entre les deux blocs opposés.
Par contre, au début, L’Etudiant Libéral voit dans le « guêpier espagnol » la lice du premier combat que se livrent les deux blocs dictatoriaux opposés (L’Etudiant Libéral, décembre 1936, « Politique internationale », par Pierre De Ligne.). Mais deux ans plus tard, dans le même Etudiant Libéral, Luc André écrira que « le fascisme jusqu’ici n’a rencontré qu’un seul obstacle, subi qu’un seul échec, l’Espagne » (L’Etudiant Libéral, octobre 1938.).
A maintes reprises, les journaux estudiantins soulignent le combat mené par le gouvernement légal pour la démocratie et la liberté (Cahiers du Libre Examen, novembre 1937.). Il s’agit d'ailleurs, remarquent souvent les journaux « de leur liberté et de la nôtre ». Et L’Etudiant Libéral répercutera aussi l’appel : « Sauvez la démocratie, aidez l’Espagne Républicaine » (Octobre 1938.).

Contre la politique de non intervention
Dès octobre 1936, le B.U. déplore la politique de Paris, qu'il aurait néamoins approuvée « si une intervention française eût déclenché la guerre ». Mais il faut au moins permettre la conversion des fonds recueillis en avions et en mitrailleuses pour essayer de sauver la démocratie espagnole.
Ensuite les journaux critiqueront plus catégoriquement et constamment la non-intervention « faute grave » (H. CORNIL, « L’Europe et l’Espagne », Cahiers du Libre Examen, octobre 1938.).
Quant aux libéraux, ils sont au début partisans de la non-intervention, « courageuse initiative » sans laquelle l’Europe et la civilisation succomberaient aujourd’hui (L’Etudiant Libéral, décembre 1936.). Quelques mois après ils estiment encore que « le maintien de cette politique de non-intervention est la seule attitude capable de sauver la paix et la démocratie » (P. DE LIGNE, La part du feu ou le point de vue libéral sur la question espagnole, dans le B.U. du 25 janvier 1937.). On sait que les libéraux lutteront ensuite contre la non-intervention, ce que confirmeront plusieurs articles.

La question religieuse
Dans cette U.L.B. anticléricale, le sujet est brûlant. Le B.U. consacre un grand article à l’interdiction faite par Malines à deux éminents prêtres catholiques espagnols représentatifs (II s’agit de deux professeurs, les abbés Galegos et Lobo, d’après l'article « Tolérance » de J. Grunenwaldt, dans le B.U. du 20 novembre 1936.) de prendre encore la parole à Bruxelles. Néanmoins, leur texte fut lu en public ; ils y citaient de nombreux exemples de tolérance des autorités espagnoles envers les personnalités et les manifestations religieuses.

Quant aux actes isolés de vandales et d’énergumènes, le gouvernement les avait désavoués publiquement.

Dans un autre journal (L’Universitaire, 20 novembre 1936) paraissait d’ailleurs un long compte-rendu de la conférence, privée, donnée par les mêmes prêtres un peu avant l’interdiction.

Dans « L’Eglise catholique et les sentiments religieux du peuple espagnol », Henri Cornil met en exergue l’avis d’une délégation religieuse anglaise selon laquelle « l’attaque contre les églises a eu une cause politique et non religieuse ». Il explique les attaques contre les prêtres catholiques par la colère contre un clergé pro-franquiste et oppresseur, compare les privilèges du clergé sous la monarchie et les mesures prises par la République, telles la fin du monopole de l’instruction par l’Eglise et la Séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Soulignant l’existence d’offices protestants et la volonté du gouvernement d’appliquer la liberté de religion après la guerre, l’auteur conclut : « Les incendies d’églises, les massacres de prêtres ont une cause politique. L’ensemble du peuple reste croyant » (Cahiers du Libre Examen, décembre 1937.).
Quant à L’Etudiant Socialiste , il publie des extraits significatifs d’une brochure de F. de Los Rios, professeur de droit à l’Université de Madrid, sur l’Eglise catholique en Espagne (Numéro 8 novembre 1937.).
Par ailleurs, le délégué de l’A.G. au Congrès Mondial de la Jeunesse mentionne sa rencontre avec le « sympathique écrivain catholique José Bergamin. » Ce partisan du gouvernement espagnol explique les mouvements initiaux contre les prêtres et les églises (Jean LAVACHERY, dans le B.U., 9 novembre 1936. L’écrivain espagnol sera d’ailleurs invité à Bruxelles en mars 1939, conf. supra.).
Devant la guerre d’Espagne, l’anticléricalisme de l'U.L.B. ne s’applique pas à tous les croyants ; ces derniers, prêtres ou laïcs, s’ils sont antifascistes, sont invités et écoutés avec intérêt.

Une polémique à propos du P.O.U.M.
Dans « Plaidoirie pour des idéalistes », Albert Wintergroen prend la défense du P.O.U.M., victime de la vague de terreur de mai 1937 à Barcelone. Partisans d’une république socialiste antimilitariste et anticapitaliste, ces idéalistes affrontèrent le Parti Communiste devenu le Parti Socialiste Unifié de Catalogne. Wintergroen dénonce, sans mâcher ses mots, l’ingérence de l'U.R.S.S. ainsi que les mesures inhumaines contre les « agents trotskystes » (Cahiers du Libre Examen, janvier 1938.).
Dans le numéro suivant (Cahiers du Libre Examen, février 1938.), Henri Cornil intitule sa réponse « Retour à la réalité — Défense du Front Populaire ». Certes, au début le P.O.U.M. se battit héroïquement, mais il fut rétif à l’organisation d’un commandement militaire unique. Ces idéalistes sans armes allaient mourir sous les coups du fascisme quand ils virent arriver des bateaux chargés d’armes, de munitions, de vêtements et de nourriture venant d’U.R.S.S. Certes, l’auteur regrette la manière forte utilisée par le gouvernement pour liquider le P.O.U.M. mais c’était la seule façon de lutter efficacement contre le fascisme.
Dans sa « Finale pour une plaidoirie », Wintergroen admet que des traîtres aient pu s’infiltrer dans le P.O.U.M., mais cela n’excuse pas la vague de terrorisme contre eux, ni la privation de liberté, ni l’absence actuelle de procès.
Mettant fin à cette polémique, les Cahiers du Libre Examen se réjouissent de constater que les deux signataires et tous les étudiants de l’U.L.B. s'accordent sur la nécessité d’une aide à l’Espagne.

Critiques contre une certaine presse belge
Déjà Louis de Brouckère, le 15 octobre 1936, parle sans préciser de la partie importante de la presse dont Franco, Mussolini et Hitler disposent en France, en Angleterre et en Belgique (L’Universitaire, article déjà cité.). Au même moment, le Bruxelles Universitaire (« La politique étrangère : l’Espagne ». 15 octobre 1936.) souligne les difficultés d’information et « les diatribes d’une presse vendue et incapable » qu’il ne cite d'ailleurs pas.
L’attaque se précisera quand, dans le Bruxelles Universitaire également (B.U. 20 novembre 1936), J. Grunenwaldt attribuera la défense de parler en public, signifiée à deux prêtres espagnols par Malines, à « la consigne lancée par certains journaux « nationalistes » (sic), canards au premier rang desquels figure La Nation Belge ».
Dans un article intitulé « Patriotisme... », L’Universitaire épingle « La Nation Belge », « Cassandre », « Le Pays réel », et la presse libérale telle « La Gazettte » et « L’Etoile Belge » pour qui Franco est un homme d’ordre et un patriote (L’Universitaire, 15 janvier 1937).
Enfin, dans son avant-propos, le Rapport d’une délégation d’étudiants de l’U.L.B. sur son voyage en Espagne citait parmi ses motivations de départ le désir de s’informer sur place, la presse belge étant incomplète et souvent tendancieuse.
Outre les thèmes traités plus haut, on pourrait analyser ou approfondir notamment des sujets comme les polémiques avec les Etudiants Libéraux, l’influence de la politique des partis, l’activité des organisations internationales de jeunesse, tel le Rassemblement Mondial des Etudiants, l’information sur l'Espagne Républicaine (alphabétisation, défense du patrimoine culturel).

Conclusions
Notre étude, la première sur le sujet, n’est pas exhaustive.
Par certains aspects, elle pourrait étonner par son caractère détaillé, sectoriel. Bien entendu, elle a été rédigée dans l'optique de son rattachement aux autres communications.
A l’U.L.B., durant ces deux ans et demi d'action estudiantine pour l’Espagne, les gauches ont-elles été déchirées dans l’unité ?
En ce qui concerne les socialistes, contrairement à leurs aînés du P.O.B., il ne semble pas qu’ils aient été divisés sur cette question, ni entre eux ni opposés aux communistes ; par contre, mais pas tout de suite, ils allaient se heurter fortement à ceux-ci à propos des Procès de Moscou, puis du Pacte germano-soviétique. En automne 38 notamment, l’importance des efforts pour l’Espagne fut d'ailleurs invoquée pour maintenir l'unité des E.S.U.
L’absence de déchirure au sein des Etudiants Socialistes proprement dits, aspirés par l’unification de 1936, semble un fait. Est-elle due à une indépendance idéologique envers le P.O.B., à l’absence de responsabilités politiques propre à cette tranche d'âge, à l’élan de la solidarité estudiantine ? Ces facteurs ont sans doute joué.
Des étudiants libéraux, on ne pouvait attendre une adhésion immédiate, mais on sait qu’elle vint.
Les polémiques et les critiques, mises inlassablement en avant par la presse et les milieux de droite, telle l’affaire de Borchgrave, ne semblent guère avoir troublé les étudiants ; pas plus d’ailleurs que la tragédie du P.O.U.M., qui n’intéressait alors que quelques initiés.
Par contre, très impartialement, les atrocités contre le clergé sont souvent mises sur le tapis et expliquées.
Y eut-il une spécificité de l'U.L.B. devant la guerre d’Espagne ? Incontestablement. Dans cette Université de tendance libérale et anticléricale, où les gauches n’étaient pas majoritaires, le principe du libre examen avait donné dès 1935-36 un élan particulier à l’intérêt critique, puis à la sympathie et à l’action des étudiants pour l’antifascisme, face à la montée de Rex et du V.N.V. Lors de la guerre d’Espagne, grâce à des cercles bien structurés et ouverts aux débats, dirigés par des responsables engagés mais tolérants, les aînés entraînèrent les cadets et la masse des jeunes prêts à l’enthousiasme et à l’action. Entre le fascisme et l’antifascisme le choix était sans doute plus polarisé alors.
L’esprit de recherche et de pluralisme s’accompagna d’activités diversifiées et, par rapport aux trois autres Universités de l’époque, l’U.L.B. fut sans doute la seule à faire bloc dans l’aide à l’Espagne.
S’étonnera-t-on que les discussions avec les libéraux aient été l’axe de contradiction ?
Dans la mesure où, à l’U.L.B., il n’y avait pas de représentation du catholicisme et de l’extrême-droite, le champ idéologique constitué par la guerre d’Espagne était décalé vers la gauche. C’était les libéraux qui représentaient la zone de fragilité sur laquelle le débat était engagé.
Les libéraux ralliés, c’est donc côte à côte que les diverses tendances politiques présentes à l’U.L.B. se retrouvèrent dans l’unité d'action ; celle-ci y fut réelle pour cette période, et dans l’optique de l’aide humanitaire, de l’appui à la politique républicaine, à son idéal de laïcité et de démocratie, de rejet du fascisme.
Cette unité estudiantine antifasciste fut-elle une sorte de Front Populaire ? Non. Aux essais antérieurs d’ébauche d’un Front Populaire, les libéraux avaient opposé un veto énergique et constant. Les E.S.U., quelles que fussent les sympathies de certains, ne paraissent plus avoir posé la question. Rejetée par les organes dirigeants du Parti Libéral et du P.O.B., l’idée d'un Front Populaire s'avérait peu opportune ; dans le contexte politique belge, dans une communauté estudiantine sans aucune attache syndicale, faiblement politisée, avec une gauche minoritaire, il y avait d’autres priorités.
L’aide à l’Espagne et les discussions qui l’accompagnèrent constituèrent aussi un creuset. De jeunes libéraux évoluèrent vers une idéologie de gauche. Pour beaucoup de participants, la réflexion et l’action antifasciste allaient aboutir à la Résistance à l’idéologie et à l’occupation nazies.
Certes quelques milliers d'étudiants et professeurs représentent, en 1936-39, un chiffre minime en Belgique. Mais leur action d’aide et son rayonnement semblent dépasser cette proportion. Et l’impact individuel, intellectuel et humanitaire, de cette participation collective se remarque encore cinquante ans plus tard.

Annexes

Comité Estudiantin d’Aide à l'Espagne Républicaine.

1937-38 :
sauf le nom du secrétaire, Henri Cornil, nous n’avons pas trouvé la liste des membres du Comité Exécutif.

1938-39 :
Le Comité de Patronage
comprend les présidents des cercles estudiantins, culturels et politiques, et des cercles de Médecine et Polytechnique.
Le Comité exécutif :
Secrétaire : Louis Fonsny,
Trésorier : J.P. Boulenger (et délégué Solvay),
Déléguée au Comité de Coordination de Bruxelles : A. Englert,
Déléguée à l’Association des Etudiantes : M. Boute,
Délégués facultaires : Droit, Marcel Slusny — Philo, Andrée Crabbé — Polytechnique, R. Norman — Sciences, Marguerite Franklemon — Médecine, J. Maréchal.


Liste des délégués en Espagne (18 décembre 1937 — 5 janvier 1938) :
Willy Calewaert, président de l'Association des Etudiants libéraux flamands.
Henri Cornil, délégué des E.S.U.
Jan De Vriendt, président des Etudiants Socialistes Flamands.
Charles Dosogne, secrétaire général du Cercle Le Libre Examen.
Georges Marcq, président du Cercle des Etudiants Libéraux.
Myriam Nassaux — Marguerite Franklemon — Suzanne Cornil —
Andrée Crabbé — membres de l'A.G.
Jacques Warnant, docteur en droit.

Nous remercions le Service des Archives de l'U.L.B. et notamment sa Directrice Madame Despy, qui
a rassemblé une documentation inestimable et dont la compétence et l’amabilité nous ont été d’une grande aide.