mercredi 24 février 2021

En 1884, première médaille des festivités du 20 novembre

La tradition de la Saint-Verhaegen remonte aux fêtes organisées à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’ULB en 1884, bien que l’on guindaillât depuis longtemps déjà dans les bistrots du quartier de l’Université, installée à cette époque dans le palais Granvelle, rue des Sols. La même année, un Congrès international des étudiants se tient également à Bruxelles.

Dans son édition du 21 novembre 1884, "La Réforme, organe de la démocratie libérale" nous relate les festivités de la veille dans les moindres détails : "Depuis le matin, le quartier de la Cantersteen - notre quartier latin - était dans une animation inaccoutumée.

Un grand nombre d'étudiants circulaient dans les rues ; et tous les établissements environnants étaient pleins.

La joie partout. Les gens graves même avaient voulu être de la fête ; et il n'était pas une maison qui ne fût pavoisée aux couleurs nationales.

Vers midi et demi, on se réunit place de l'Université pour se rendre en corps à la Maison du Roi. Chaque groupe arrive avec sa bannière spéciale. Nous remarquons successivement celui des étudiants de Bruxelles, du Cercle montois, des élèves internes et des externes des hôpitaux civils, des étudiants vétérinaires de Cureghem, du Club mucilagineux, des étudiants libéraux de l'Ecole des mines de Mons, de l'Institut commercial d'Anvers, des étudiants flamands de Liège, de la Société flamande Zonder Nijd de Liège, de la Société générale des étudiants de Gand, des Wallons libéraux de Gand, des étudiants en médecine de Gand.

A 12h45, le cortège entre par la porte de gauche, dans la cour de l'Université, et contournant la statue de Verhaegen, se met en marche vers la Grand-Place, en passant par la Cantersteen, la rue de la Madeleine et la rue Marché-aux-Herbes.

Carte postée en 1924.
La statue de Verhaegen est au centre de la cour.
Deux portes - ou plutôt grilles - donnent sur celle-ci.

En tête, M. Fernand André porte l'ancien drapeau de l'Université libre. Puis viennent le délégués de la Fédération des Etudiants, le bras ceint de bleu ; enfin les bannières réunies des différents groupes et la joyeuse foule des étudiants.

Sur le parcours, le cortège chante la Marseillaise, le Chant des Etudiants, de Witmeur, et le funèbrement drôle O Vandenpeerenboom."

C'est donc dès midi et demi, une assistance nombreuse se dirige vers la Maison du Roi (accessible pour la première fois depuis sa reconstruction) et s'installe au second étage, où a lieu la cérémonie.

"A une heure, précise le quotidien libéral "La Meuse, journal de Liège de la Province" du 21 novembre 1884, la Brabançonne exécutée par la musique des pompiers, annonce l'arrivée de M. Buls. [...] Le discours qu'il prononce d'une voix très-claire soulève un enthousiasme général, alors surtout qu'il dit avec chaleur que nous nous efforçons de combattre la théocratie qui chercher à étouffer la science [...]

Au terme des longs discours, auxquels le public assiste debout, "un silence se fait" nous dit "La Réforme" : "M. de Parmentier apporte le nouveau drapeau des étudiants. Cette bannière bleue est par sa couleur le symbole du libéralisme, par ses emblèmes ceux de la science, aux coins se détachent en broderies d'or les insignes des Quatre Facultés et un flambeau éclate au milieu de l'étendard symbolisant la lumière et le progrès. Une vive émotion suivie de vivats prolongés salue le nouveau drapeau.

M. Rousseau se lève [...] et solennellement, les yeux tournés vers la bannière, la donne aux étudiants, avec quelques paroles cordiales et graves : "Vous saurez porter avec honneur, dit-il, cet étendard ; vous êtes des hommes, vous combattrez pour la vérité, pour ce grand principe qui est le programme de notre Université : le libre examen. Comme les soldats d'une grand cause, vous saurez être fidèle à votre drapeau." Ce à quoi Léon Furnémont, représentant des étudiants, répond entre autres : "C'est porté par nous que l'étendard du libre examen ira bientôt flotté sur les ruines des vieux abus et des préjugés détruits. Nous triompherons parce que notre cause est juste, parce que nous avons l'audace, l'enthousiasme et la volonté."

La remise de cette bannière, offerte par le Conseil académique, semble avoir été le point d'orgue de l'ouverture des fêtes jubilaires, si l'on en croit "La Meuse". 

"La Meuse" poursuit sa description des festivités : "Commencée à 12 heures, la cérémonie ne s'est terminée qu'à 3 1/2 heures. Le cortège se forma alors sur la Grand'Place au milieu d'une grande affluence de curieux. En tête la musique des pompiers et les drapeaux, puis les autorités communales et académiques, les anciens étudiants, enfin, la Fédération des étudiants et leurs frères de l'étranger.

On se mit en marche sur le nouvel hymne à l'Université, fort bien composé. Les groupes d'étudiants entonnèrent des choeurs de circonstance, cela va sans dire : Brabançonne, Marseillaise, voire l'ô Vandenpeereboom. Beaucoup de monde rue de la Madeleine, que la tête du cortège quittait quand la queue s'y engageait seulement.

A l'Université, la plaque commémorative en l'honneur de Verhaegen a été installée en face de l'entrée de la rue des Sols. Au moment où la toile qui la couvrait est tombée, des hourras retentirent dans l'assistance.

En somme, les fêtes se passent fort bien. Les étudiants, en parcourant la ville, y jettent une note gaie et pittoresque."

Débuté à quatre heures et demie, le Congrès des étudiants, nous dit "La Meuse", "est installé au théâtre des Nouveautés. Au bureau, siègent MM. Furnémont, président, et les membres du Comité du Cercle des Etudiants progressistes, organisateur. MM. Arnould et Desguin, membres du Comité d'honneur, assistent à la séance d'ouverture.

M. Furnémont souhaite la bienvenue aux membres du Congrès et caractérise son but : faire connaître les voeux de la jeunesse universitaire dans la grande question de l'enseignement. Il fait l'éloge du président d'honneur du Congrès, Victor Hugo.

Le Congrès constitue son bureau comme suit : Président, M. Furnémont ; vice-présidents, MM. Monet, Debleumourtier, Boureau, de Paris ; M. Juanès Junel, délégué danois ; M. Salvador Castello, délégué espagnol ; plus les membres délégués des Sociétés universitaires belges, avec M. Féron pour secrétaire. [...] "

"La Réforme" livre le long discours d'ouverture de Furnémont. Nous en retiendrons principalement les paroles suivantes : "Le Cercle des Etudiants progressistes a choisi l'enseignement populaire comme objets de débats. Il a cru que cette question, intéressante entre toutes, prenait pour nous en ce moment une importance encore plus grande encore.

L'enseignement est livré au cléricalisme. Des légions d'hommes noirs se sont abattues sur l'intelligence du peuple comme la chauve-souris sur la lumière qui l'offusque.

[...] Nous devons montrer à tous ceux qui nous aiment, à tous ceux que la Belgique intéresse, que si le présent est sombre, l'avenir est radieux et pur et qu'à l'ignorance obligatoire, imposée par des hommes s'intitulant nos maîtres, étant eux-mêmes de vils esclaves, succèdera bientôt une ère de bonheur et de paix, préparée par l'instruction gratuite, laïque et obligatoire ! [...]

Léon Furnemont déclare qu'en cette matière les étudiants belges ont beaucoup à apprendre de leurs voisins français et qu'ils les écouteront avec joie développer les avantages de la réforme qu'ils ont accomplie. Puis, après avoir rappelé que le Congrès aborderait la question de la laïcité en lien avec rôle de l'Etat dans l'enseignement, il déclare qu'"Il ne suffit pas que l'enfant et l'adolescent acquièrent des connaissances générales qui leur permettent d'avoir une opinion sur la plupart des problèmes politiques et sociaux qui se posent journellement devant eux, il faut [...] assurer à ceux-ci un enseignement technique."

Conscient que le champ des débats soulevés est vaste, Furnemont espère "un résultat favorable à la grande bataille d'idées qui va se livrer" et souligne qu'à tout le moins le Congrès aura l'avantage d'établir pendant quelques jours des liens étroits entre les étudiants qui veulent le "progrès continu par le complet épanouissement des idées [...] démocratiques".

A ce Congrès, au côté de Paul Janson (qui sera ovationné), le professeur Guillaume De Greef prend la parole. Il critique un libéralisme qu'il juge autoritaire et des hommes politiques qu'il qualifie de réactionnaires. Il estime qu'une des cause de cette situation réside dans l'absence de facultés de sciences sociales dans les universités belges ; aussi en propose-t-il la création. De Greef s'inquiète par ailleurs d'une trop grande spécialisation des travailleurs, qui empêche le développement de leur intelligence. Il se dit à ce sujet partisan de l'enseignement intégral, à savoir des connaissances générales de toutes les sciences.

Nous retrouvons ici des éléments du conflit entre libéraux conservateurs et progressistes, qui trouve un écho au sein de l'Université libre et conduira dix ans plus tard à la création de l'Université Nouvelle, lors de l'affaire Reclus. Université nouvelle dont De Greef deviendra d'ailleurs le recteur.

Le banquet

"La Meuse" du 21 novembre 1884 précise également que le banquet de l'Hôtel de Ville, débuté à 19h45, rassemble quelques 150 convives sous la présidence du Bourgmestre. Parmi les invités, l'on compte entre autres les conseillers communaux, les membres du Conseil d'administration et les professeurs, des délégués des anciens étudiants, de la Société des ingénieurs de l'Ecole polytechnique, des étudiants... "L'animation est grande. Le bruit des conversations étouffe les sonorités de la fanfare des pompiers, qui joue dans la salle des Mariages."

Les festivités universitaires s'étalent sur plusieurs jours. "La Réforme" du 22 novembre donne ainsi le programme chargé de la journée : séance du Congrès à 14h00, fête intime à L'Etoile (4 rue du Marché-au-Bois) à 17h30, banquet à la Bourse à 18h30 et bal à l'Eden à 21h00. 

Autre son de cloche... d'église

"Le Patriote", quotidien catholique et conservateur, du 21 novembre apporte quelques informations complémentaires et livre un regard évidemment nettement critique sur ces festivités. Ce qui nous permet de mesurer l'animosité qui régnait alors entre les catholiques et les libres penseurs.

Le journal catholique indique donc que la veille, vers 19 heures, "un cortège aux lumières a traversé la ville. [...] La réception officielle s'est faite à la Bourse. [...] Le soir, les aimables jeunes gens en qui réside l'avenir du parti "libéral" et le présent des établissements de la rue du Persil et de la rue Saint-Laurent ont commencé leurs saturnales. Après un congrès dans lequel ils ont rivalisé de sottise et d'emphase, ils se sont répandus dans les rues de Bruxelles et ont braillé, jusqu'à des heures avancées, toutes les chansons à la mode [...]."

On aura compris l'allusion acide du journaliste, qui établit une équivalence entre la loge maçonnique des Amis Philanthropes (fondatrice de l'ULB), installée rue du Persil, et une des nombreuses maisons closes de la rue Saint-Laurent. (Jean d'Osta, Dictionnaire des rues de Bruxelles, éd. 1995).

Et "Le Patriote" de poursuivre : "La petite débauche universitaire dont nous avons dit quelques mots hier s'est continuée aujourd'hui. C'est d'abord dans la Maison du roi qu'une bannière du plus beau bleu a été remise par le bourgmestre des gredins aux pupilles de l'armée révolutionnaire. Des discours sur la science libre, le libéralisme, le libre examen ont été tour à tour prononcés par MM. Buls, Van Druman et autres orateurs aussi inconnus.

A quatre heures, tout ce monde était de nouveau réuni dans le hall de l'université, tendu de blanc et de bleu. M. Preumont, parlant au nom des étudiants, a rendu hommage au fondateur de l'université, M. Verhaegen. On a découvert la plaque de marbre blanc, portant cette simple inscription : "A Verhaegen, l'université libre de Bruxelles, 1834-1884." Les étudiants, qui n'étaient plus que cinq cents environ, ont entonné une marche et poussé de formidables cris : Vive Janson ! Vive Janson !"

L'édition du 22 novembre du "Patriote" précise seulement que : "Les étudiants de l'université de Bruxelles se donnent à eux-mêmes et aux autres, ce 22 courant, un grand banquet à l'occasion du cinquantenaire de la fondation de l'université. Le banquet a lieu par souscription. Au 12 novembre, la souscription des anciens étudiants n'avait encore réuni que 96 adhérents. C'est maigre !

Un maillet et une médaille

Outre les fêtes organisées à l’ULB, une délégation de trois cents étudiants est reçue le 21 novembre 1884 par le Grand Orient, dans le temple de la rue du Persil. Ils remettent un maillet d’argent au grand maître Eugène Goblet d’Alviella. Par ce geste, ils affirment les liens privilégiés que leur Université entretient avec la Franc-Maçonnerie belge qui l’a fait naître et, plus particulièrement, avec le Frère Pierre‑Théodore Verhaegen, disparu en 1862.

La médaille de 1884 présentée ici n'est pas une médaille de Saint-Verhaegen s'il on estime qu'il faille que ces deux termes consacrés y figurent. L'expression "Saint-Verhaegen" n'apparaît d'ailleurs qu'en 1888. Cependant, cette médaille célébrant les 50 ans de l'Université a bel et bien été frappée à l'occasion des festivités du 20 novembre et du congrès international des étudiants.

Au recto de cette médaille en argent, on retrouve les armoiries de la Ville de Bruxelles. Et au verso, l'on découvre une attache boutonnière, qui permet de placer la médaille au revers d'un veston. Nous ne savons pas si les étudiants accrochèrent cette première médaille à leur casquette (alors appelée "clippe"), comme ils en prendront l'habitude à partir de 1938 (année de la frappe de la troisième médaille du 20 novembre).

Ses dimensions peuvent surprendre : 3,5 cm de diamètre (l'attache en bouton faisant 2 cm de diamètre), 1 cm de hauteur (bouton compris) et presque 3 mm d'épaisseur.


Collection En Bordeaux et Bleu
Un énorme merci au Camarade qui a transmis cette pièce rarissime.