lundi 9 juin 2014

La Buse : un oiseau, un tuyau, un chapeau et une chanson

Composée peu après la guerre 1914-1918, "La Buse" est imprimée pour la première fois dans les "Fleurs du Mâle" de 1935.

Depuis au moins le 16ème siècle, on traite un faible d'esprit de "buse", du nom du rapace idiot. Par glissement sémantique, ce mot désigne aussi - comme dans cette chanson - l'échec à un examen.

La Buse est l'adversaire héréditaire du Poil. Les Crocodiles en étaient déjà victimes en 1853. C'est d'ailleurs dans leur journal que figure la plus ancienne représentation de la Buse : Félicien Rops, par un calembour épouvantable, l'y représente sous la forme d'un tuyau coudé doté d'ailes.

Part la suite, des années 1920 aux années 1960, la Buse fait régulièrement son apparition dans la presse estudiantine sous les traits d'un chapeau buse (aussi appelé "haut de forme") ou d'un simple tuyau coudé.

Chanson unique ? Nouvel air !

Cette chanson est unique à plus d'un titre.

Tout d'abord, c'est la seule qui soit entièrement dédiée à l'ennemi juré des étudiants.

Ensuite, la Buse s'y exprime directement (sous la plume d'un auteur resté anonyme).

Enfin, elle est une démonstration par l'absurde que la Buse est bien un volatile stupide. Alors que les Poils la fuient depuis toujours, la Buse dit regretter l'amour que - croit-elle - les Nébuleux, les Sauriens et le célèbre Caïman lui portaient avant-guerre.

La Buse a néanmoins raison sur un point : les Poils ne vadrouillent plus avec autant d'insouciance qu'avant la guerre. D'une part, le premier conflit mondial a porté un coup moral aux étudiants bohêmes. D'autre part, l'Université - jusque là réservée à la haute bourgeoise - ouvre ses portes aux fils et filles de la classe moyenne : fini donc les guindailles onéreuses et les bals fastueux, dont les Nébuleux avaient le secret.

Autant de raisons de sortir ces couplets des limbes et de les rechanter lors des cantus.

"La Buse" s'entonne normalement sur l'air de "Verdun ! On ne passe pas !", une marche militaire écrite pendant le conflit. Cette mélodie est un peu complexe ; c'est sans doute pour cela qu'elle a été oubliée.

Nous proposons donc de reprendre "La Buse" sur l'air de "La petite Charlotte", qui a aussi l'avantage d'être plus rapide et plus joyeux.

"La Buse", dans la version de 1935

Air : "Verdun ! On ne passe pas !"

Avant la guerre, on respectait mon culte,
J’avais un tas d’adorateurs joyeux
Qui pour ne pas me lancer une insulte
M’adoptaient tous et sans espérer mieux.

Ah ! Les beaux jours de bohême et d’orgie
Quand je couvrais Sauriens et Nébuleux,
Le Ca-ïman m’aima toute sa vie
Que soit béni son amour fabuleux.

A ceux-là, d’un petit air tendre,
Quand ils venaient à l’examen,
Je disais sans faire d’esclandre :
« Halte-là, mes beaux chérubins.

Nos amours ne sont pas finies,
Pourquoi vouloir quitter mon bras ?
Je suis la buse, votre amie,
En juillet, on ne passe pas ! »


Las ! Maintenant un vent de labeur souffle
Sur les vieux murs de l’Université.
Je suis montrée du doigt par les maroufles
Se retranchant dans leur austérité.
Mais pour sécher mes yeux noirs qui s’embrouillent
Se sont levés les descendants des preux.
Je vais séduire encore quelques vadrouilles

Chantant la bière ainsi que leurs aïeux.

"La Buse" , illustrée par Jean Dratz in Les Fleurs du Mâle, 1948.


La reprise de "La Buse" sur l'air de "La petite Charlotte" impose de scinder les couplets et le refrain. La chanson s'y prête plutôt bien : le premier couplet parle en effet du passé et le second du présent ; de la même manière, la première partie du refrain parle du passé et la seconde du présent.  

Reprise de "La Buse"
sur l'air de "La petite Charlotte"

Avant la guerre, on respectait mon culte,
J’avais un tas d’adorateurs joyeux
Qui pour ne pas me lancer une insulte
M’adoptaient tous et sans espérer mieux.

A ceux-là, d’un petit air tendre,
Quand ils venaient à l’examen,
Je disais sans faire d’esclandre :
« Halte-là, mes beaux chérubins. »


Ah ! Les beaux jours de bohême et d’orgie
Quand je couvrais Sauriens et Nébuleux,
Le Ca-ïman m’aima toute sa vie
Que soit béni son amour fabuleux.

A ceux-là, d’un petit air tendre,
Quand ils venaient à l’examen,
Je disais sans faire d’esclandre :
« Halte-là, mes beaux chérubins.


Las ! Maintenant un vent de labeur souffle
Sur les vieux murs de l’Université.
Je suis montrée du doigt par les maroufles
Se retranchant dans leur austérité.

« Nos amours ne sont pas finies,
Pourquoi vouloir quitter mon bras ?
Je suis la buse, votre amie,
En juillet, on ne passe pas ! »


Mais pour sécher mes yeux noirs qui s’embrouillent
Se sont levés les descendants des preux.
Je vais séduire encore quelques vadrouilles
Chantant la bière ainsi que leurs aïeux.

« Nos amours ne sont pas finies,
Pourquoi vouloir quitter mon bras ?
Je suis la buse, votre amie,
En juillet, on ne passe pas ! »


L'écolier paresseux alias "la Buse", vus par le chocolatier Guérin-Boutron.