jeudi 1 août 2013

Combien de strophes à l'Hymne des étudiants ?

Ainsi qu'il le raconte dans ses Souvenirs d'un journaliste (publiés à titre posthume, en 1959), Georges Garnir écrit l'Hymne des étudiants dans l'urgence, peu avant la Saint-Verhaegen 1890 lors d'un conflit qui oppose étudiants et autorités académiques. Lorsque ses vers furent "coulés dans le moule d'acier d'un rythme définitif", Charles Mélant appliqua sur ceux-ci l'air d'une marche militaire. Le texte de Garnir remplaça alors le premier Chant des étudiants, écrit par le professeur Wittmeur, dont un discours avait été jugé blessant au cours du conflit.

A la fin du 19ème siècle, les éditions bruxelloises Schott Frères ont publié une partition de l'Hymne des étudiants, aussi appelé Chant des étudiants, qui ne comporte que deux couplets. Le troisième, celui qui dénonce le dogmatisme du clergé, n'y figure pas.

Le dessin de cette partition représente étrangement des étudiants allemands.
Document transmis par Xavier Hubaut.

 
A la même époque, un second éditeur bruxellois, J.-B. Katto, a, lui, édité une autre partition de l'Hymne des étudiants, qui est bien composée des trois couplets.

Sur cette partition, on reconnaît
les anciens bâtiments de l'ULB, rue de l'Impératrice.
Image empruntée à Quevivelaguindaille.be

Malheureusement, les archives tenues à cette époque par les maisons Schott Frères et Katto ont été détruites et aucune des deux partitions n'est datée. Il est donc malheureusement impossible de savoir avec certitude laquelle des deux est l'originale. 

Ce que dit Garnir

George Garnir explique dans ses Souvenirs d'un journaliste que, lors de la première exécution publique de l'Hymne à la Saint-Vé de 1890, le premier couplet fut mal interprété par les étudiants présents. Avant d'ajouter : "Mais au second couplet, on s'était donné rendez-vous au point d'orgue ; chacun s'était ressaisi, grâce à la franchise du rythme et à la bonne musicalité de l'œuvre de Mêlant."


L'emploi des termes "second (et donc théoriquement dernier) couplet" et "point d'orgue" par Garnir sous-entend qu'il n'y avait que deux couplets, comme dans la partition vendue par Schott frères...

Cependant, quelques lignes plus loin, Garnir évoque le fameux troisième couplet, qu'il dit avoir chanté des années plus tard avec de vieux Camarades : "Depuis, j'avais un peu oublié le Chant des étudiants. L'autre jour, après avoir dîné avec de vieux amis d'université, nous avons feuilleté des chansons de jeunesse dans des cahiers fatigués ; le hasard a remis sous nos yeux la musique de Mélant... Nous avons chanté ensemble, avec des voix dont plusieurs chevrotaient déjà séniles... Quand nous arrivâmes à Rome tremble et chancelle Devant la vérité... nous sourîmes malgré nous..." (Souvenirs d'un journaliste, 1959)

Recherches récentes

L'édition de deux partitions différentes ainsi que l'imprécision de Garnir auraient pu nous laisser penser que le virulent troisième couplet avait été ajouté au texte original à une date inconnue.

Mais les récentes recherches du Camarade Xavier Hubaut ont bien confirmé l'existence de la troisième strophe dès la première interprétation de l'Hymne des étudiants. Les trois couplets et le refrain de l'Hymne figurent en effet été in extenso dans le Journal des Etudiants de décembre 1890 et dans l'Echo des Etudiants du 16 octobre 1893.


L'édition de Schott Frères

Deux éléments nous incitent à croire que l'Hymne des étudiants a sans doute été édité pour la première fois chez Schott Frères.

Tout d'abord, c'est à cette maison que Charles Mélant avait déjà confié l'impression de la Marche des étudiants, une composition antérieure.

Charles Mêlant était déjà l'auteur du Calme de la Nuit, de Nocturne, d'Ouragan Galop.
Partition empruntée à Quevivelaguindaille.be

Ensuite, en 1907, la Revue universitaire republie fidèlement la partition de l'Hymne, avec - nous dit une note de bas de page - "l'autorisation spéciale de la maison Schott frères à Bruxelles. Tous droits d'exécution publique, de reproduction et d'arrangements réservés". La mention d'une telle autorisation pourrait indiquer que Schott est le premier éditeur de l'Hymne.

Document transmis par Xavier Hubaut.

L'édition de J.-B. Katto

Néanmoins, l'Hymne original comportant d'emblée les trois couplets, il serait plus probable que l'édition princeps de l'Hymne ait été imprimée par Katto.

Un autre point pourrait également accréditer l'idée que Katto est le premier imprimeur : la partition diffusée par cet éditeur porte l'indication "Nouveau chant universitaire", signalant qu'il remplace le texte écrit par Wittmeur. Toutefois, si la partition de Schott Frères indique seulement "Chant universitaire", il ne faudrait pas en conclure trop vite que cette maison ne pouvait se targuer d'éditer un nouvel air. En effet, lorsque la Revue universitaire reproduit - avec exactitude - la partition de Schott, elle précise bien - elle - qu'il s'agit du "nouveau" chant universitaire alors qu'elle le publie en 1907, soit bien après la querelle de 1890...

Points de suspension

Nous n'avons pas encore tranché qui de Schott Frères (avec les deux couplets) ou de Katto (avec les trois) est le premier à avoir tiré l'Hymne sur ses presses. Mais c'est un détail car nous savons que, dès sa première exécution, le chant comportait le sulfureux "Une aurore nouvelle / Grandit à l'horizon. / La Science immortelle / Eclaire la Raison. / Rome tremble et chancelle / Devant la vérité / Serrons-nous autour d'elle / Contre la papauté."

Si Schott a été le premier éditeur de l'Hymne, il reste à savoir pour quelles raisons il a censuré le troisième couplet. Était-il trop incendiaire pour l'époque ou... pour la clientèle ?

"Le pape, combien de divisions ?", demanda Staline... Il n'eut pas de réponse. A la question "Le Semeur, combien de couplets ?", on peut répondre "Trois !", sans hésiter.