Mais l'intérêt de l'article se trouve dans deux autres points. D'abord, la salle de cérémonie est éclairée de bougies. Ensuite, et c'est ce que nous allons aborder, les comitards du jury (ce qu'on appellerait aujourd'hui Tribunal) portent des cagoules. Nous ne connaissons pas l'origine de cette pratique. Il faut sans doute y voir une parodie des bourreaux du moyen-âge destinée à impressionner les bleus.
Ce document provient du Service Archives, Patrimoine et Collections spéciales de l'ULB. 50 avenue Franklin Roosevelt à 1050 Bruxelles. |
Nous ne connaissons pas non plus avec certitude ni la date d'apparition de ce couvre-chef dans le folklore de l'ULB ni le nom du premier Cercle à l'employer.
D'une part la plus ancienne trace connue de la cagoule date d'avant la Première Guerre mondiale. Elle figure dans un compte-rendu du Baptême des Sciences de 1913, publié dans "Le Toenia, petit torche-cul complaisant" : "C'était une chambre drapée de noir, mystérieuse, trempée d'une lumière blafarde. Effrayants, macabres, quatre juges, en cagoule, siégeaient. Un hallebardier, martial, laconique. Deux sataniques bourreaux. A son harmonium, un dominicain plaquait des accords infernaux. Une vraie salle d'inquisition, au fond de quelque sombre manoir." (in Michel Hermand, La Belle histoire du Cercle des Sciences de l'ULB, 2015.)
La trace suivante de cagoule figure en Une d'une publication de l'Association générale des étudiants de l'Institut supérieur de Commerce d'Anvers, édité pour les festivités des 13 et 14 mai 1921. C'est en soi une surprise car il s'agit d'un Macchabée défilant en tête de cortège avec sa toge, sa cagoule et le drapeau de son cercle. Ces vêtements pouvaient donc être portés en public - même en délégation dans une autre ville universitaire - et n'avaient donc pas le côté mystérieux (ni sulfureux) qu'ils ont aujourd'hui.
Document aimablement transmis par Bacchus P.nc.n. |
Pour les publications de l'ULB, le plus vieux dessin de cagoule connu figure dans les Fleurs du Mâle, publiées en 1922 par le Cercle des Sciences. Il s'agit de la caricature d'un Macchabée, porteur d'une toge et d'une cagoule. Ce dessin figure à côté de "La fin du monde", un chant macchabée signé par P.Loteur, pseudonyme de Paul Vanderborght (un des initiateurs des Fleurs du Mâle).
Caricature d'un Macchabéee par Bizuth, dans la première édition des Fleurs du Mâle (1922) |
Les Macchabées se sont probablement inspiré des rites du Baptême pour leur propre folklore. Cette hypothèse semble confirmée par la présence de la cagoule au baptême des étudiants montois en 1925 également. Et surtout par l'emploi de ce couvre-chef également à l'étranger, à l'X, l'Ecole polytechnique de France, bien avant les années 1890.
Dès lors, pourquoi l'auteur de l'article de 1925 décrit-il le porte de la cagoule comme une "particularité aussi intéressante qu'instructive" ? Cela indique-t-il que le chroniqueur voit ce couvre-chef comme une innovation ? Le port de la cagoule s'était-il perdu à l'ULB, dans le ressac de la Guerre mondiale ? Si oui, qui l'a réintroduit dans les Cercles facultaires, les Macchas ? Personne ne pourra sans doute répondre à cette question, à moins de trouver de nouvelles informations dans la presse estudiantine.
Vie de la cagoule dans l'entre-deux-guerres
Lors de la Saint-Vé de 1927, soit deux ans après la chronique du baptême des Sciences, on voit des Poils guindailler et jouer des saynètes en cagoules. Il en va de même en 1929.
Saint-Vé de 1927. Fiacre où le Docteur Wibo est condamné à la corde pour sa défense de la "morale". |
On sait par le Bruxelles Universitaire que, lors du Baptême de Sciences 1930, les comitards étaient "dûment cagoulés". L'adverbe "dûment" suggère qu'à cette époque la tradition du chapeau conique est (désormais) une évidence pour ce Cercle.
En mars 1931, le Bruxelles Universitaire publie en Une une caricature explicite représentant les Frères Macchabées vêtus de toges et de cagoules.
Dessin de Une du Bruxelles Universitaire de mars 1931. En haut à gauche, un Macchabée muni d'un clystère. |
Il a dû arriver aux premières générations de Macchabées de porter la toge et la cagoule en public. Ainsi lors de la Saint-Verhaegen de 1931:
Vie de la cagoule après-guerre
On ne dispose que de très peu d'éléments sur l'usage de la cagoule après la Seconde guerre mondiale.
Du côté des Cercles facultaires, on retrouve le couvre-chef conique sur une photo du Tribunal du Cercle Polytechnique de 1940, sur un diplôme de Bleu du Cercle des Sciences de 1941 et sur un diplôme de Bleu du CP de 1945.
La cagoule est également mentionnée deux fois dans le Bruxelles Universitaire d'après-guerre. Une chronique du baptême des Bleuettes de Médecine, publiée dans le B.U. du 13 décembre 1948 en parle ainsi : "on affubla tous les comitards d'une merveilleuse cagoule rouge et d'une non moins merveilleuse robe rouge élagamment pincée à la taille par une cordelière blanche". Un autre articulet du B.U. de novembre 1954 (inspiré de celui de 1948) en parle indirectement en donnant quelques conseils pour le baptême des Bleuettes : "Les frères baptiseurs se cagouleront et leurs ombres jetteront des éclats lugubres et cruels sur les murs balafards".
Dans "L'Etudiant" (publié en 1960), un Poil décrit les baptêmes des années 1950 et explique - dessin à l'appui - qu'à cette époque les "maîtres sacrificateurs" chargés de la tonte du bleu étaient vêtus d'une blouse blanche et d'une cagoule, afin de ne pas être reconnus de bleus vindicatifs.
Dessin extrait d' Esbé, "L'Etudiant", Bruxelles, 1960. |
Document transmis par Martin Pwim Span.gh. "Epanorthose" du 9 novembre 1964. |
Un document assez rare nous montre la cagoule portée lors d'un baptême, celui du Cercle des Sciences en 1972.
Baptême du Cercle des Sciences, 1972. |
Malgré une interruption de la tradition au moins de 1987 à 1993, les comitards de baptême du Cercle de Philosophie et Lettres ont continué à porter ce couvre-chef folklorique lors du Tribunal (et non au baptême à proprement parler) au moins jusqu'au milieu des années 1990. Il semble qu'ils soient les derniers à avoir pratiqué ce rite.
Du côté des Ordres, pour ne parler que de deux d'entre eux, les Frères Truands ont porté la cagoule lors de leurs cérémonies d'intronisation du début des années 1950 au milieu des années 1980. Quant à eux, les Macchabées la portent encore de nos jours, lors de leurs réunions intimes.
Dans les autres Facultés
A Liège, la cagoule est encore portée de nos jours lors du Baptême des Sciences.
A Mons, en Polytech, relate un Poil de la Cité du Doudou, les Bourreaux apparaissent pour la première fois lors du méchoui de bleusaille à la fin de la première semaine. "C'est une soirée très festive et très joyeuse ou le bleu commence a se sentir à l'aise. A une heure précise, tous les chants cessent, les Poils se taisent, les Bleus doivent se regrouper... Les Bourreaux arrivent à la lumière des torches... Les Bourreaux sont cagoulés pour symboliser l'exécution des hautes œuvres qui consistent à "noyer dans la bière la dépouille du bleu et à donner vie au nouveau poil". A ce titre, les Bourreaux sont les véritables organisateurs, en ce compris la préparation de la salle de Baptême. La fonction de Bourreau est généralement réservée à des élèves de dernières années sauf un d'avant dernière année - lequel sera "chef Bourreau" l'année d'après."
Un autre Poil montois explique qu'il y a toujours des cagoules aux FPMs, ISIMs, ISIC et FUCaM, le but des Bourreaux étant de veiller à ce que les Poils et les Comitards respectent une certaine discipline et gardent une attitude correcte à l'égard des Bleus pendant le Baptême, tout en créant une atmosphère impressionnante.
Il y a eu des Bourreaux dans les Baptêmes namurois au moins de 1986 à 1991. Et il semble que la cagoule soit encore portée par des Bourreaux à Louvain-La-Neuve dans certains cercles, selon les années. Dans ces deux villes universitaires, les objectifs poursuivis sont les mêmes qu'à Mons.