Le 1er février 1853, dans son premier numéro, Le Crocodile - journal satirique de la Société - dresse un portrait haut en couleurs d'un Actif :
"Esquisse physiologique du Crocodile
D’après Buffon
Cet animal est très méchant
Quand on l’attaque il se défend.
Le trait le plus saillant de l’organisation du Crocodile, c’est la facilité qu’il possède de boire, parler, manger, respirer, fumer et valser, le tout en même temps. Il ne faut donc pas s’étonner si le Crocodile a une bouche large, élargie qu’elle est par l’usage continuel de la pipe, de la blague et de la guindaille.
La guindaille surtout.
Le Crocodile habite de préférence les régions situées entre la Bohème, la Cocagne et la Basoche, ainsi qu’au bord d’une île que les anciens appellent Cythère.
Toutefois, comme le Crocodile a l’instinct des voyages et de la colonisation, il n’est pas rare d’en rencontrer à Bruxelles, Jodoigne et à Tombouctou, voire même à Namur. […]
En Belgique, sur cette vieille terre de la liberté et de la contrefaçon, ils ont sucé les meilleurs principes, les Crocodiles sont devenus des soldats avancés du progrès, des libres penseurs, enfin ils fréquentent l’Université libre !!"
Le Dictionnaire crocodilien (destiné à rectifier celui de l’Académie, à rétablir la véritable signification des mots, à donner sur tout des notions neuves et profondes et à former ainsi l’esprit et le cœur qui auront patience de le lire. Dédié aux étudiants belges) est publié en 1857. Il complète le tableau par une touche d'humour :
"Crocodile
: animal amphibie, c’est-à-dire vivant également bien dans l’air et dans le
faro.
Non moins
carnivore que le crocodile du Nil, le crocodile de Bruxelles présente cette
particularité qu’il n’est pas ovipare.
Ces deux
espèces de crocodiles se distinguent encore par ce fait que, si les larmes de
l’un sont devenues proverbiales, le rire de l’autre n’est pas moins célèbre."
Le blason du Crocodile
Les traits du Crocodile sont tout entiers repris dans le frontispice dessiné par Félicien Rops pour Le Crocodile du 7 août 1853.
Côté rédaction : deux Crocodiles porteurs de pipes colossales présentent le blason de leur Société ; l'un tient une plume et l'autre un stylet.
Côté estaminet : deux autres Crocos s'offrent un gueuleton au pied du blason, sous les auspices d'une marotte, d'une bouteille de vin, d'une cruche de bière, d'un pot de genièvre, de feuille de vignes ainsi que de couverts, d'une pipe et d'un bâton à miel.
Et côté bal : au coeur du blason, des Crocodiles guindaillent sous un fût de faro, tandis que l'argent s'envole, que la montre en argent est "mise au clou" pour éponger quelques dettes et que la Buse s'envole avec le diplôme...
S'il s'agit là de la plus ancienne représentation de la Buse que nous connaissions, l'usage du mot dans le cadre universitaire est sans doute plus ancien. Depuis le 16ème siècle au moins, on traite un faible d'esprit de buse. Par glissement sémantique, le mot a désigné l'échec à un examen. On se félicite donc que les Crocodiles - nos glorieux ancêtres - n'aient pas été les premières victimes du rapace idiot qui décime les amphithéâtres...
Par un calembour affreux, la Buse des auditoires (qui a déjà la cervelle fragile) se voit ici affligée d'un corps en forme de tuyau. Les mofflés - et Félicien Rops - diront que ce n'est que justice.
Lithographie du Crocodile du 7 août 1853. |